Seuls existent les commencements,
les aurores nouvelles,
qui nous tirent de nos nuits.
Être toujours voyageur de l'Aube.

jeudi 23 février 2012

12 - Dieu n'est pas au Centre

Mon séjour de trois ans au Centre de rééducation m'a ouvert sur bien d'autres perspectives à tous égards. Tout le processus rééducatif, dans le cadre de cet établissement, a profondément modifié tant la perception de moi-même que celle du monde qui m'entoure. Dans le cadre de l'angle sous lequel j'aborde les choses, je me contenterai de relater ce que Dieu devint alors pour moi.


Le Directeur du Centre, grand invalide de guerre en fauteuil roulant, est le premier adulte que je rencontre ayant autorité et qui ne croit pas en Dieu. Voilà donc un athée envers qui j'ai entretenu et entretiendrais longtemps au fond de moi-même, une relation faite d'admiration, de reconnaissance, de chance de l'avoir connu et d'une certaine fierté d'être parvenu à « vaincre le handicap » comme il le désirait ardemment pour chacun des enfants du Centre. Cet homme est pour moi un modèle, une référence, il me montre un possible. Chacun le craint, les enfants bien sûrs, mais aussi le personnel soignant. Il n'est pas commode, baroudeur, sa voix forte s'entend du fond du couloir, sa stature en impose malgré le fauteuil roulant. Mais tout cela ne serait qu'apparence et masque, s'il ne fallait pas reconnaître toute sa valeur humaine et la puissance de vie qui émane de lui. Ce n'est pas un homme autoritaire, c'est un homme qui fait autorité. Il faut avoir vu la bonté et l'amour au fond de son regard pour comprendre que c'est un homme accompli dans toute sa dimension foncièrement humanisée. Il tranche nettement avec l'autoritarisme et le regard froid arborés par les frères des écoles chrétiennes à l'école où j'allais.

Dans sa fonction, il est bien évident qu'il ne fait pas allusion à ses convictions intimes au regard de la religion. Cependant, le petit parc du Centre de rééducation jouxte le jardin d'un séminaire où des jeunes apprennent à être curés. Au détour de conversations, je réalise qu'il appelle les séminaristes, toujours en soutanes noires : « les corbeaux ». Il ose ! Il ose ce que je n'ose pas ! Surpris dans un premier temps, je ressens en moi une sorte de jubilation excitée, comme si un autre, par procuration, osait dire et prononcer ce que je me refuse encore…

Mais, si j'envie cette liberté qu'il se donne au regard de la pensée catholique dominante dans la société, (la mienne en tout cas…), Je n'en demeure pas moins soumis aux préceptes et obligations de la très Sainte Église Catholique qui, si elle semble chassée par la porte dans ce Centre, se précipite pour rentrer par la fenêtre, ou plus précisément par la boîte aux lettres, car, plusieurs fois par semaine, (et je lui en sais gré sur le principe), ma mère m'écrit des lettres tapées à la machine (elle est bonne dactylo, et c'est plus lisible), qui traitent la plupart du temps des questions de la religion, de Dieu, de mes prières que je ne dois pas oublier, de Mme Trukchose et de M. DuMachin qui « prient sans cesse pour moi, et pour ma guérison ». Les autres paragraphes de ces lettres consistent en de la bonne morale, des « recommandations » pour ma vie quotidienne, des exhortations à me consacrer avec ardeur à ma rééducation pour que je redevienne le « petit garçon d'avant ». Tout cela ressemble beaucoup trop au discours moralisateurs entendus à l'école, au cours de religion, ou ailleurs… C'est sa manière de m'aimer, sa manière de considérer son rôle de mère. Trop jeune, je n'ai pas encore suffisamment de finesse pour déceler les angoisses sous-jacentes que je ne m'en sorte pas, qu'il faut me prêcher la bonne parole officielle, celle qui vient des hommes autant que de Dieu. Je replie les lettres, les remet dans leurs enveloppes, avec toujours un fond de déception, une insatisfaction de ne pas avoir lu « des mots que j'attendais », mais je ne sais même pas lesquels. Des mots de proximité sans doute, des mots plus affectueux, des mots « vrais ». Voilà c'est cela. Plus vrais… Des mots du coeur sans doute.

4 commentaires:

  1. Une mère angoissée par l'épreuve terrible que vit son enfant et qui n'a pas été formée à l'écoute de ses sentiments, pense faire le mieux possible en donnant ses "recommandations"
    On a discuté à ce sujet lors de l'écriture de ton livre, tu t'en souviens!
    Mais je comprends cette impression d'insatisfaction latente, sur laquelle tu pouvais pas mettre de mots, que tu éprouvais...

    Il n'y a que les mots "vrais" qui réconfortent vraiment
    Les autres déçoivent et limite, mettent en colère

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  2. Je n'avais pas encore eu le temps et la disponibilité d'esprit pour venir lire tes écrits « mystiques ». C'est chose faite ce soir, où j'ai passé plus d'une heure à lire tes douze derniers billets. J'éprouve un peu le même sentiment qu'après la lecture de ton livre.Un mélange de compassion, d'émotion et d'interrogation. Certaines anecdotes de ton enfance me touchent : le catéchisme, la messe « buissonnière » et les horreurs que les grandes personnes se croyaient obligées de raconter aux enfants pour les effrayer, tout cela me ramène à ma propre expérience, puisque tous les français nés avant mai 68 ont subi le bourrage de crâne de la fille aînée de l'église...
    J'ai perdu la foi quand le hiatus entre l'idée de Dieu et les actes de ses soi-disant représentants est devenu trop inique pour moi. Trop insupportable.
    Ta description du système central de toute religion est excellente (« grands prêtres, pontes, illuminés, gourous, minorités électives, castes dominant des adeptes obéissants et craintifs, exécutant les préceptes, rites, obligations contraignantes de toutes sortes » ) C'est à cause de la religion que je me suis détournée à jamais du folklore, des bondieuseries, des superstitions, des signes de croix, et tout le tralala que l'on m'a fait bouffer dans l'enfance. Et lorsque tu parles des sœurs de la Charité capables de flanquer des gifles à un enfant, cela réveille en moi une révolte enfouie en moi mais toujours prête à se réveiller. La même, certainement qui m'anime quand j'entends les grands de ce monde nous dire qu'il faut se serrer la ceinture. Cela procède de la même perversité: utiliser des idées pour asservir les peuples au profit d'une poignée d'hypocrites et de salauds.
    Mais je m'emballe !
    Je hais la religion, et en même temps, je me sens profondément mystique au sens philosophique du terme. C'est pourquoi, je te rejoins complètement dans ce voyage de l'aube que tu as entrepris.Merci pour ses écrits qui m'aideront je pense à cheminer moi aussi.
    Célestine

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  3. Coumarine,
    au final, je crois que ma mère n'était pas si éloignée que cela de ses sentiments. Mais il était hors de question de les exprimer. Mon frère exprime un jour que cela avait fait l'objet d'un interdit…

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    Célestine,
    c'est probablement un des grands ratages de la religion catholique de s'être montré incapable de transmettre le message dont elle se disait dépositaire, tout en affirmant le contraire, évidemment…
    S'il s'était seulement agi de quelques personnes déviantes… Mais c'est l'ensemble du système qui est totalement vérolé…
    La déviance instillée dès l'origine.

    Reste quelques individualités, quelques religieux émergeant du lot. Mais si rares… Et qui ont fini soit par être tenus en suspicion, soit par défroquer…

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  4. Ce que tu écris me touche beaucoup...
    J'ai vécu dans la même ambiance religieuse en adhérant à tous ces concepts morbides pendant longtemps. J'ai bcp cauchemardé enfant à propoos du diable que je voyais sur les murs de ma chambre... Ce qui réveillait mon père! Il venait alors il chassait le diable en récitant avec moi à genoux au pied du lit une prière!
    Mais il revenait quand même ce salaud de diable qui n'était rien d'autre qu'une ombre projetée sur le mur. Il m'a fallu parcourir tout un chemin .J'ai eu la chance de rencontrer deux hommes qui ont été déterminants dans ma révolution pour m'affranchir de cette religion mortifère
    L'un "était" prêtre( il a quitté l'Eglise)L'autre fut mon analyste.

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