Seuls existent les commencements,
les aurores nouvelles,
qui nous tirent de nos nuits.
Être toujours voyageur de l'Aube.

lundi 3 septembre 2012

32 - D'un certain Désir - (2)




Pour activer le Désir — la force vive — il faut entrer volontairement dans le renoncement à la satisfaction d'un certain nombre de besoins, pulsionnels ou non. Lesquels ? — Je pense que tout être de « bonne volonté » n'aura pas beaucoup de difficultés à faire sa propre liste.
Pour ma part, je m'arrête à l'un d'entre eux qui me faisait du tort : le besoin de me plaindre, le côté Caliméro, ou la noirceur revendiquée de ma vie dans les années 70. C'était une manière perverse de tenter de me faire aimer, de susciter la compassion, la consolation, l'affection et la tendresse. Ce comportement ne concernait pas les problèmes physiques. Là, j'avais ma fierté. Cela concernait, pour faire simple, ce que j'appellerai mes problèmes de coeur, ma solitude difficile, mon mal-être, et puis la faute des autres bien sûr, c'est si facile de les accuser, ça évite de se regarder.
Une autre manière de faire : C'était le comique de service, faisant rire la galerie, manière d'échapper au marasme, d'attirer l'attention et de me faire aimer. Mais le clown était acerbe, grinçant souvent, virulant parfois, quand il se choisissait une tête de turc et faisait rire à ses dépens. 

Dans tout ce contexte,  d'une interrogation en vérité sur moi, il n'en était pas question.

Or, ce Désir-là, cette recherche de vérité,  ne vient pas de soi-même. Il faut une re-naissance. Et pour que celle-ci s'accomplisse, il faut un accoucheur.  C'est-à-dire un appel venu de l'extérieur. Ce que je suis et deviens, il faut que quelqu'un d'autre m'aide à me le dire. Autrement dit l'autre détient une clé que je n'ai pas. Le risque est de prendre l'autre pour un utilitaire, utile uniquement dans la mesure où il concourt à ma réussite, jusqu'à ce que je le rejette  comme un emballage devenu obsolète. 

La naissance du vrai Désir se fait justement par la rencontre de cet autre qui détient une clé pour nous. L'accompagnement de personnes en rupture apporte parfois le retour de ce Désir. L'accompagnateur a vu ce qu'il y avait derrière la porte fermée au Désir — il a vu le potentiel de l'autre avant lui — et il donne alors la clé. Mais seul l'autre peut s'en servir et ouvrir la porte.

J'ai souvent entendu dire que j'avais de la chance d'avoir rencontré les bonnes personnes au bon moment. En admettant qu'il s'agisse d'une chance je dirai alors qu'elle est largement répandue et offerte à tous. Ce n'est pas que la chance ne passe pas de multiples fois pour chacun, c'est qu'on ne la remarque pas quand elle passe. J'aimais beaucoup la chanson de Graeme Allwright : « Ne laisse pas passer ta chance ». J'ai cette conviction, qui me vient de mon expérience vérifiée pour moi et pour d'autres : la chance, si chance il y a, ne cesse de passer et repasser. C'est juste nous qui avons de la boue dans les yeux et qui préférons le confort du moment, fût-il précaire et incertain, plutôt que l'audace du Désir, qui risque de bousculer notre ordre établi.

Pour ne pas passer à côté, il faut une sorte d'attention à des signes peu visibles, des ressentis ténus, mais cependant bien présents, qui se manifestent d'une autre manière que la pratique du raisonnement déductif. Ainsi en fut-il de certaines poussées intérieures inexpliquées dans l'instant — ce n'était pas rationnel, réfléchi, pesé, étudié… — Ce n'était pas non plus pulsionnel et de surface, — mais comme une lame de fond qui fait agir et le plus souvent aller vers.
L'action a précédé la réflexion et on constate après-coup qu'il y eut une sorte de réflexe du Désir. C'est en tout cas ce que j'ai pu constater me concernant, à plusieurs reprises, notamment concernant ma compagne ou la rencontre de mon maître à penser. J'ai accompli envers l'une comme envers l'autre des actes décisifs qui n'ont pas tenu du raisonnement, mais de cette poussée intérieure qui cherche à s'imposer — même si on peut décider de renoncer, Dans la mesure justement où elle n'est pas de l'ordre de la sensibilité pulsionnelle irrépressible — et dont on pressent que, ne pas accompagner ce mouvement d'aller vers, serait une erreur et à tout le moins un empêchement à l'accomplissement du Désir.

Mon inconscient en sa dynamique vitale m'a fait agir parce que des « autres » détenaient des clés de vie dont j'ignorais encore ce qu'elles étaient.
Dans ces cas-là, la part qui fut la mienne fut bien évidemment de m'inscrire dans cet élan dont je peux dire qu'il venait plus de mon corps que de mon esprit réflexif, c'est-à-dire qu'il venait de mon intériorité déjà présente à ma conscience et issue de mon enfance. J'étais en effet, dès cette époque-là, un être méditatif … qui s'ignorait…

*


Il y a donc en nous quelque chose qui nous précède. Quelque chose qui précède la conscience que nous pouvons en avoir. Quelque chose d'antérieur qui s'origine dans les plus profondes profondeurs de notre être.
Quelque chose ou quelqu'un.

Ce qui a été premier et avant nous, ce fut l'amour.
Enfant, j'ai été aimé en premier. Je n'ai pas mesuré tout ce que cela signifiait. On s'arrête plus facilement au non-amour dont on peut être victime dans l'enfance. On prend alors le problème par ce côté négatif des dégâts qui sont la conséquence des carences affectives d'enfance. Mais je veux ici m'arrêter à l'enfant aimé en premier et avec une certaine justesse. Avant l'amour qu'il manifestera lui-même il faut à l'enfant d'être aimé en premier. Il lui faut recevoir avant de donner.

On peut élargir la réflexion. Quelqu'un nous a-t-il aimé en premier ? Je veux dire avant que le monde soit monde. Quelqu'un que l'on appellerait Dieu.

Alors la question se poserait : comment Dieu aime-t-il en premier ? Comment est-ce qu'il s'y prend ?
Une manière de chercher quelles peuvent être ses moeurs serait de revisiter sa propre histoire avec cette hypothèse d'un amour premier et qui de plus serait demeuré dans une permanence.

*

Il faut bien reconnaître que j'ai ces expériences de bienveillance à mon égard. Sauf que je ne les attribue pas à la divinité. En tout cas pas au Dieu que m'ont présenté les chrétiens et que j'ai tendance à rejeter, comme je rejette les gens d'église, les Cathos, les bigots, et autres grenouilles de bénitiers. Ces expériences de bienveillance et je les attribue à la Vie, à sa générosité, à l'Humanité des hommes, à une sorte de foi dans l'avancée humaine vers un plus. Mais c'est là, il me faut le reconnaître, une autre manière de me créer une religion, ou plutôt une religiosité sans doute.

La certitude est que j'ai beaucoup reçu !
J'ai même écrit tout un livre pour exprimer cette gratitude...


La gratitude génère en moi de très fortes émotions intenses et que je ne laisse pas déborder, craignant quelque chose de l'ordre du ridicule. Surgit alors en fond de tableau, comme en filigrane, une ombre de mon passé qui me l'interdit depuis toujours, comme cette ombre s'interdit elle-même tout merci chaleureux, sauf à rester dans la canalisation du conventionnel qui s'accompagne d'une certaine froideur mais où est absent tout jaillissement du coeur. Ce personnage ombrageux et prégnant me dicta longtemps sa loi, jusqu'à ce que j'ai la force de laisser se rompre les digues émotionnelles qui m'empêchaient d'être. J'illlustrerai par ces émotions qui me montent comme des bouffées, lorsqu'une troupe vient saluer au théâtre à la fin du spectacle, ou à l'opéra, comme une communion juste, une reconnaissance profonde pour les acteurs qui ont tout donné et qui méritent amplement notre merci. C'est alors une manière de nous donner à eux l'espace d'un instant.
Car c'est bien d'une sorte de don réciproque dont il est question. Une forme de communion qui s'installe alors, et qui est comme l'apothéose de celle vécue au long du spectacle, si celui-ci est bon, évidemment.

Une communion ! Je pense alors au rituel catholique. Recevoir la communion. Et si c'était cela la dernière Cène. Comme un sommet. Comme une ovation. J'imagine Jésus et ses apôtres bien autrement que les représentations qu'on nous a infligées. Je vois plutôt un repas festif — pas une orgie ! — qui  aboutit à ce don total : ceci est mon corps et mon sang ! Et s'achève en ovation. Une réplique de merci à celui qui déclare : Je vous ai tout donné ! Tout cela constituant enfin une union commune.
Dans l'église catholique, au moment de la consécration, à la messe, les chrétiens devraient applaudir à tout rompre de remerciements, plutôt que de baisser la tête comme des imbéciles…

4 commentaires:

  1. Dans l'église catholique, au moment de la consécration, à la messe, les chrétiens devraient applaudir à tout rompre de remerciements, plutôt que de baisser la tête comme des imbéciles…

    merci Alain, que je suis d'accord avec toi.

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  2. @ GIBOULÉE

    Je te reconnais bien là !
    :-)

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  3. Lors d'une des dernières séances avec mon analyste j'ai comparé l'analyse à une messe (laïque)
    Car dans une analyse il y a une communion, comme une union, avec à la fin le "Ite missa est" qui signifie la fin de la messe et l'envoi "ite" qui signifie" Va" et " missa est" que moi je traduis par "Elle a été envoyée" et dans le "elle" il y avait moi bien sûr. J'ai cru longtemps que c'était lui, l'analyste qui détenait les clés de ma vérité ... il faut du temps pour se détacher de cette croyance que l'analyste est celui qui sait...
    Je reviendrai pour compléter ma pensée interrompue...

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  4. CHARLOTTE

    « L'analyste est celui qui sait »…
    En effet, cela me semble une fausse croyance. D'autant qu'il ne s'agit pas d'acquérir un savoir sur soi venu d'ailleurs, mais de se comprendre avec l'aide d'un tiers.

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