Seuls existent les commencements,
les aurores nouvelles,
qui nous tirent de nos nuits.
Être toujours voyageur de l'Aube.

dimanche 2 juin 2013

52 - De l'art au divin


Le thème central du numéro de Philosophie de juin est : l'art nous aide-t-il à vivre ? — La fin d'un article de Charles Pépin m'a interpellé. (extraits)
« Dans l'expérience esthétique nous sommes confrontés à quelque chose de mystérieux, d'obscur, mais qui ne fait pas peur. Mieux, nous aimons ne pas comprendre. (…) " Le beau est l'éclat du vrai" (Hegel) (…) Cet éclat n'est jamais clair : le vrai n'y est que suggéré, symbolisé. Le beau, en fait, est toujours l'éclat mystérieux du vrai.  (…) Se rapprocher de sa vérité personnelle […] Dans l'ouverture de son propre mystère. »


Lisant cela, j'ai pensé à mes propres expériences esthétiques, à celles qui m'ont mis en présence de ce quelque chose de mystérieux. J'ai même fait l'acquisition de quelques toiles à cause de ce mystère que je ne cesse de contempler quand je les regarde, sans chercher à percer ce mystère, et d'ailleurs je n'aimerais pas, ce serait comme un grand dommage à mes yeux.
Parfois on me demande ce que ça représente. Je réponds toujours quelque chose du genre : ce que vous aurez envie d'y voir ou ce qui vous sera révélé en regardant.

Les propos de Charles Pépin m'ont immédiatement fait penser au Divin, au Mystère du divin, à ce dont je parle ici si souvent. Ce fut comme une lumière pour moi et/ou comme une sorte de ratification d'un certain bien-fondé de ma démarche. (Au moins partiellement… Voir la suite).

Il n'y a pas à percer le Mystère. Il y a seulement à le contempler, à recevoir ce qu'il révèle, ce qu'il donne à voir et à vivre dans son éclat et sa beauté.
La beauté est ce qu'on aime.
Et ce qu'on aime montre invariablement une partie ou un aspect de la vérité.
J'ai alors pensé à l'arbre de la Connaissance dans la Genèse et à cette histoire du fruit croqué qui promettait (fausses promesses au demeurant…) d'avaler la connaissance du TOUT. Alors il n'y aurait plus eu de Mystère à contempler. À l'image du conjoint disant « je te connais par coeur », c'est-à-dire je possède tout de toi et donc il n'y a plus rien à aimer de toi, en toi. J'ai tout bouffé de qui tu es…
Quand on prétend tout connaître de quelque chose ou de quelqu'un il n'y a plus qu'à passer à autre chose…

Quand l'autre demeure profondément Mystère, alors on l'aime, on continue de l'aimer pour le mystère qu'il est, sans chercher à tout savoir de l'autre, à vouloir tout posséder de lui, à le chosifier. On risque d'en faire un objet de connaissance, et non pas un sujet mystérieux, vivant, surprenant, forçant l'étonnement, toujours nouveau, sans cesse source d'émerveillement.

Je vis cela vis-à-vis de ma compagne. J'ai tendance à dire : depuis toujours… Pourquoi ? Je ne sais pas ! C'est comme ça… Ce n'est pas un choix délibéré et encore moins une obligation que je me ferais. Cette attitude m'apparaît comme composante de ma personne, comme un naturel évident, quelque chose de vital et incontournable dans ma relation à elle. Souvent je la regarde à son insu, en pensant plus ou moins ceci : mais qui donc es-tu ? Et cette question ne cherche pas de réponse. Elle se suffit à elle-même, générant un mouvement intérieur de présence à elle. Et ainsi qu'il est dit pour l'art dans le texte cité : « j'aime ne pas comprendre ». J'aime ce mystère quel est dans l'éclat de sa beauté, parce que chaque jour qui passe je la trouve plus belle, plus éclatante, plus vivante, plus femme, même si comme chantait Reggiani : "elle n'a plus 20 ans depuis longtemps".

Mais alors ?… Pourquoi je n'ai pas cette même attitude avec le Divin, avec le Mystère de ce qui transcende l'Homme et me transcende moi, petit terrien de rien du tout ?
Pourquoi j'aimerais percer le Mystère.
Pourquoi mon : mais qui donc es-tu ? s'accompagne d'une revendication sous-jacente  attendant qu'enfin une réponse soit donnée, et même parfois un agacement : "alors ça vient la réponse ? Oui ou m… ! "

Il me faut m'imprégner de ce réel que je vis, qui est que le Mystère est BEAU intrinsèquement et que j'aime ce beau. J'ai déjà écrit ici et ailleurs que j'aimais contempler ce Mystère pour ce qu'il est… Et on ne contemple pas quelque chose qu'on n'aime pas !
En même temps je voudrais qu'il disparaisse… Qu'il fonde comme neige au soleil, que le Mystère se dévoile une fois pour toutes.
Idiot ! Je suis un idiot !
Je suis comme Adam et Eve, je boufferais bien le Mystère pour qu'il ne soit plus, qu'il n'existe plus. Alors je deviendrais probablement une sorte d'enflure, débordant de la connaissance du tout. Je crois que ce serait insupportable, que je n'aurais plus qu'à imploser littéralement, comme une grenade dégoupillée.
Je pourrais paraphraser Hegel, qui dit : " le beau est l'éclat du vrai ", en déclarant : " le Mystère est l'éclat du vrai ", puisque pour moi et depuis bien longtemps le Mystère est beau !

Je disais à la dernière conférence sur mon livre, il y a une semaine, qu'il y avait en moi depuis l'enfance une dimension contemplative. Je la ressens mieux en écrivant ces lignes. J'aime profondément contempler. Le contempler le Mystère en sa beauté d'être ce qu'il est, et j'ai à me contenter de cela, dans les deux sens du terme : — être content — et ne pas réclamer plus, ni autre chose.

Ayant montré ce texte à ma compagne, elle me suggère d'ajouter ceci :


Ensuite… Regarder en soi ce que la contemplation a fait naître. 
Où m'a-t-elle emmené ?


13 commentaires:

  1. "Il n'y a pas à percer le Mystère. Il y a seulement à le contempler,... "
    Ces mots me rejoignent parfaitement. Ainsi tout reste ouvert.

    "Pourquoi mon : mais qui donc es-tu ? s'accompagne d'une revendication sous-jacente attendant qu'enfin une réponse soit donnée... "

    Pour ma part, le Mystère je dois le connaître concrètement, pas seulement l'imaginer, il doit être ma plus intime connaissance, plus intime que n'importe quelle personne que j'aime par dessus tout. C'est ça mon Intime des intimes. Qu'enfin la cloison disparaisse, je pense que c'est ça l'attente et elle est bien légitime.
    Je ne dis peut-être pas ce que les autres voudraient entendre, mais c'est ce que j'ai à exprimer. kéa

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Qu'importe ce que les autres veulent entendre… Ou plutôt, il faut se garder du piège qui consisterait à se taire par crainte de ne pas être compris, voire désapprouvé.
      De toute façon j'ai le sentiment que ce que j'écris ici est hermétique pour certains, ou peu compréhensible.
      cela n'empêche pas de dire et d'exprimer.

      Je suis d'accord que le Mystère n'est pas imaginaire. Il faut une expérience que d'aucuns qualifient de « spirituelle », mais peu importent les qualificatifs…
      le Mystère est perceptible et en même temps il n'est pas saisissable.

      Supprimer
  2. Je ne crois pas que ce que tu dis soit hermétique parce que nous sommes tous issus du Mystère et que quelque chose en chacun de nous est constamment à sa recherche pour s'y fondre enfin, comme la rivière dans la mer. C'est bien malgré nous. Le Mystère ne s'impose jamais à nous et dans le bruit de nos vie il faut avoir eu très mal il me semble avant d'avoir la capacité d'écouter la voix de cet Intime en nous. Ensuite, de pouvoir exprimer, extérioriser en mots (comme tu le fais) ce que nous saisissons du Mystère est aussi une longue pratique. C'est pourquoi les com ne pleuvent pas ici,... je pense ! et non par manque d'intérêt. kéa

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, tu as sans doute raison.
      Je ne m'attends pas à ce que les commentaires pleuvent d'ailleurs… Juste ne pas avoir la sensation d'écrire un peu trop dans le vide…

      Faut-il avoir eu très mal pour accéder à cette perception ?
      La question m'interroge depuis longtemps. Est-ce ton cas ? (Je n'attends pas forcément une réponse…)
      Ce qui me semble certain c'est que chacun est un jour touché par le Mystère, à des degrés divers de perception, mais que la superficialité de l'ordinaire des jours et des préoccupations extérieures de tous ordres nous en éloignent souvent.

      Supprimer
  3. "Je disais à la dernière conférence sur mon livre..."

    À mon sens tu n'écris pas du tout dans le vide et j'aimerais bien me procurer ton livre parce que ce tu exprimes et ta façon de l'exprimer sont d'un grand intérêt pour moi. Un blog c'est bien mais il faut être devant l'écran (et moi, je n'aime pas le wifi), alors qu'un livre je peux l'apporter n'importe où.

    "Faut-il avoir eu très mal pour accéder à cette perception ?"

    Je trouve que ça dépend à quel degré on est séparé de cet Intime en soi. Plus on est loin de soi-même plus on souffre (consciemment ou non). Ça a été mon cas ! "Le vide immense" je l'ai ressenti depuis toujours il me semble et ça a fait que je me suis jetée dans toutes sortes d'illusions pour le combler jusqu'au jour où j'ai touché le fond du fond. (Est-ce ça la fameuse traversée du désert dont parle la bible et que chacun doit parcourir avant d'atteindre les prés de verdure ???) Mais là, à cet endroit précis, il s'est passé quelque chose bien au delà de ma compréhension qui a fait que mes pieds ont touché du solide et que je me suis donné instinctivement un grand élan, comme lorsqu'on touche le fond d'une piscine. C'est vraiment la sensation que j'ai eue. Une grâce divine je pense et je pense aussi que cette grâce vient à chacun en son temps... en espérant que ce ne soit pas deux minutes avant de mourrir car là il serait malheureusement un peu tard.

    Il est vrai comme tu le dis que l'illusion reprend souvent mon attention mais elle fait revenir rapidement la souffrance et c'est cette souffrance qui me sauve finalement parce que je ne peux la supporter longtemps. Évidemment je ressens la peine comme avant (aimer implique cela), mais le désespoir... plus jamais, parce que tout est à sa place même quand ça ne l'est pas !

    J'aime ton blog parce qu'on peut interagir et commenter aussi les commentaires ! C'est très enrichissant je trouve. kéa

    RépondreSupprimer
  4. Pour mon livre, c'est ici :
    http://www.thebookedition.com/alain-rohand-le-passage-se-cree-p-57412.html

    Le lieu de la souffrance et de la détresse, ce fond du fond que tu évoques, n'est-il pas finalement l'endroit le plus proche qui soit de la vraie vie qui nous anime ?
    Peut-être qu'il faut arriver en ce lieu "privilégié" - (alors qu'il la les apparences du plus terrible) - pour que les forces angoissantes qui nous habitent se transforment en force de vie…
    Alors, sans doute, tu le dis, je n'ai pas de raison d'en douter, il n'y a plus de place pour le désespoir, parce qu'on a vaincu définitivement « quelque chose »…

    RépondreSupprimer
  5. Merci Alain pour l'info au sujet de ton livre.
    Ce sera la deuxième fois que je commande via thebookedition.com
    Je t'en fais part lorsque j'aurai reçu ton livre.
    Il y a environ deux mois j'ai commandé "Particule d'information" (ce titre ne me disais rien au départ mais quelle magnifique surprise j'ai eue !) et "Sourire" (livre auquel participe ma chère amie virtuelle, Lise Garry). kéa

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. le Voyageur22 juin, 2013

      Je te souhaite bonne lecture de mon livre !
      Tes impressions de lectrice m'intéressent, évidemment....

      Supprimer
    2. Bonjour Alain,

      Je suis à lire ton livre. Difficile pour moi d'exprimer ce que je ressens car j'en suis au moment où tu te retrouves à Calmette (drôle de nom en effet) et c'est bouleversant évidemment, surtout la lettre à une petite fille inconnue (dans quel monde sommes nous ? chez les humains ??? certainement pas ! en tout cas pas des humains qui ont souvenir de leur humanité).
      Heureusement, lorsque je vois la profondeur de ton état de conscience actuel, ça me console quand même.
      Je t'en reparle plus tard. kéa

      Supprimer
    3. (Désolé de répondre tardivement à ce commentaire qui m'avait échappé…)

      Merci pour ces premiers échos sur mon livre.
      Cela me touche énormément.
      Je relate les choses comme je pouvais les vivre… À ce moment-là…
      Ensuite, mes expériences de vie m'ont progressivement transformé…

      Merci encore.

      Supprimer
  6. Bonjour Alain,

    Ça fait déjà un moment que j’ai lu ton livre et pour le commenter comme je le voudrais, j’aimerais le relire.
    Évidemment j’ai été très touchée et bouleversée aussi par ce que tu décris avoir vécu. Mais c’est tellement beau en même temps tout le cheminement que tu racontes, de jour en jour, d’année en année que c’est ça qui me reste à la fin, le magnifique parcours de ta vie. Ça donne envie de croire dans les immenses ressources de l’humain.

    Le vrai handicap pour moi, c’est de ne pas avoir accès au Soi et ça j’ai eu longtemps à le vivre. Toi tu as moins eu à vivre cela je pense parce que pour survivre tu as dû t’ouvrir très jeune à cette dimension.

    Merci pour l’accès à l’histoire de ta vie
    qui me restera pour toujours

    Je t’en reparle, kéa

    À bientôt

    RépondreSupprimer
  7. Je te lis silencieusement depuis quelques textes... Et je l'interrogeait justement sur ce petit point d'interrogation...

    Je saisis le sens de te démarche sur ce blog et par moment je me demande ce que tu recherches (dans ton cheminemnt).
    Car il y a quelques contradictions ou plutôt paradoxes parfois ...
    Dans un de tes texteservices tu disais que tu aimais ne pas réussir à répondre à la question de qui est tu (cet Autre, ce mystère, Dieu...)

    Ici tu exprimés extrêmement bien ta difficulté à ne pas réussir à accepter cet éclat du vrai comme tu es en mesures de le faire pour ta femme etu comme je sais que tu es en mesure de la faire pour les êtres que tu rencontres...

    Et là je me sens un peu perdue avec toi...
    Parfois je te ressens comme serein dans ton rapport au mystère et parfois je te sens plus "torturé".

    Que te manque t-il donc à ce point pour ne pas réussir à aimer sereinement cet état de Mystère ?
    Qu'est ce qui peut bien donc tant t'échapper ?

    Je n'attends évidemment pas de réponse... mais à ce stade de ma lecture (j'ai lu un par un tes textes donc tu n'écris pas dans le vide) ce sont les questions qui m'ont traversée. ...
    J'en suis qu'à la moitié d'ici là je trouverai peut être réponse à ces questions.

    Et puisque ça parle du passage qui se crée... je l'ai commandé et je l'attends de pieds fermes ;-)

    Mon bonsoir!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Une remarque préalable : lex textes qui tu lis sont écrits sur plusieurs années et ma pensée, mes sentiments, mes ressentis, sont sans cesse en évolution.
      Si je disposais de réponses « toutes faites », comme en proposent les religions, et où il n’y a plus qu’à signer au bas de la page, ce serait plus facile….
      Alors oui, je passe par des états intérieurs diversifiés, et j’ai pris le parti d’en rendre compte, même si des éléments de fond se dessinent.
      Je prends le risque de m’exposer à mes propres contradictions et évolutions.

      Tes deux questions sont importantes et m’interpellent.
      … aimer sereinement cet état de Mystère :
      Lorsque je me trouve devant ma compagne de vie et son mystère, en effet, globalement, je suis plutôt serein. J’aime qu’elle soit ainsi, si différente de moi, et en même temps avec des ressemblances profondes …
      En revanche cette « sérénité » n’est pas encore pleine et entière envers « le divin »….

      Dès lors ta 2ème question :
      Qu'est ce qui peut bien donc tant t'échapper ?
      Je me la pose déjà (évidemment), l’entendre de toi provoque une sorte de renouvellement d’un « travail intérieur ».
      Il est donc très probable que je revienne sur ce thème dans un prochain billet….

      Et donc, MERCI ! …

      Supprimer

Si vous avez des difficultés à poster un commentaire ou si celui-ci n'apparaît pas, vous pouvez me l'adresser à : alainxenreve (at) yahoo.fr
Merci.
Je le publierai en votre nom.