Mon discours sur l'inutilité et le projet des religions est parfois virulent. Il s'enracine dans mes blessures anciennes largement développées par ailleurs. Il s'est beaucoup agi des déviances des individus religieux et d'une aversion contre des pratiques religieuses (le culte froid) faites d'obligations et de contraintes ressenties comme mortifères.
Sans doute que j'ai reçu de cette ambiance/éducation/culture, des choses concernant : la notion de reliance, de communauté, de la dimension de transcendance, de se recevoir d'ailleurs que de soi-même, dans le contexte religioso-humaniste qui était le mien et ne me présentait pas l'homme comme autosuffisant.
L'épisode des tentations de Jésus et la proposition du diable : « sauve-toi toi-même ! » Me parlait beaucoup, car Jésus y renonça.
Nul ne devient lui-même sans s'en remettre à un autre qui le fait naître. Je ne serais pas sur mon chemin d'humanité sans celles et ceux qui m'ont assisté et éveillé pour faire surgir de mon inconscient les éléments identitaires de ma personne. Je pense ici à mon maître à penser et ceux que j'évoque dans mon livre, et bien d'autres encore.
(Sur le rôle positif, dynamique et structurant de l'inconscient, je renvoie à des billets antérieurs sur ce sujet).
La culture ambiante actuelle est à la religion de l'individualisme, c'est-à-dire une attention à soi tout entière mobilisée par une quête de soi fondée sur une satisfaction immédiate. Une culture du bien-être plutôt qu'un « être bien ».
L'autre jour à la télé une émission faisait le tour des propositions en développement personnel. Édifiant de bêtises ! 800 € la journée pour trouver le bien-être définitif en sautant sur place les bras en l'air ! Et d'autres choses du genre…
Face à ces impostures, je vais finir par regretter la Religion catholique !…
Tous ces bricolages relèvent d'une religiosité ambiante du Plaisir, faite de salmigondis aussi réducteurs que lucratifs. Il s'agit là, en ce début du XXIe siècle, de croyances fruits d'un refoulement, offrant des produits frelatés à la hauteur de besoins à satisfaire, lesquels occultent gravement le surgissement du Désir qui ne peut naître que du renoncement à la satisfaction immédiate. La religion du plaisir amène… le plaisir instantané, mais éphémère. Le Désir offre la Jouissance d'être qui s'inscrit dans la durée.
J'appelle ici Désir l'aspiration centrale à exister, en conformité avec l'élan vital qui anime l'homme, le potentiel d'accomplissement qui émerge à sa conscience au fil des ans, qui le relie à d'autres par le dedans, par un lien spécifique et unique chez le couple par exemple, qui relie des ami(e)s au sens noble et fort du mot, qui relie ceux qui s'engagent dans l'action commune, le service d'autrui, l'engagement dans « quelque chose qui en vaille la peine », dans tous les secteurs de la société et selon leur couleur personnelle. Je précise, car dans le langage courant le Désir s'accommode à toutes les sauces. On parle de désir de possession égocentrée, comme on parle de désir de don de soi. Ce sont pourtant deux désirs bien distincts. Et mieux vaudrait parler de besoins de comblement d'une part, et d'aspirations à être, de l'autre.
Pour en arriver là où j'en suis — qui n'est pas encore bien terrible — il m'a fallu des maîtres en humanité. Les accueillir et leur faire confiance, autrement dit me faire apprenti et, plus encore, plus profondément, me faire disciple. C'est loin d'être évident quant on se vit rebelle , quand on vous a appris qu'il faut s'en sortir par soi-même et ne comptant que sur ses forces. Ainsi en fut-il de la dynamique positive de ma rééducation. Il y a là une vérité, une part de juste, mais ce n'est pas encore le coeur des choses.
La religion a cherché à m'inculquer par l'extérieur ses principes, sa morale, ses obligations, mais sans éveiller le fond transcendant de moi-même. C'était donc irréalisable en l'état. C'est comme remplir un réservoir d'essence d'une voiture sans moteur.. C'était donc, au final, plus une question de mauvaises pratiques qu'une erreur fondamentale par nature.
*
Je n'ai pas abandonné l'idée qu'on ne peut compter que sur soi, sur ses propres forces. Mais d'où viennent-elles ces forces ? Uniquement de moi ? De mon « je » ?
Mon histoire me démontre que non.
L'autosuffisance revendiquée est une vue de l'esprit. À combien de personnes suis-je amené à dire « que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre ». Si ce vers d'Aragon frappe les esprits et les coeurs, c'est que dit une vérité. Et qui donc es-tu « toi », si ce n'est un autre qui nous désire, autant que dans l'amour nous désirons l'accomplissement de cet autre différent de nous et tellement apte à nous enrichir à notre tour, si nous l'accueillons dans sa diversité, son altérité, plutôt que de le vouloir conforme à nos besoins.
S'il y a un Dieu, un Autre, un Tout Autre, alors ceux qui croient et qui disent l'aimer, leurs désirs devraient être l'accomplissement de ce Dieu, dans sa plénitude, ce que font les grands spirituels dans l'adoration, plutôt que de quémander des faveurs : « mon Dieu, mon Dieu, fait quelque chose pour moi ! ». Jésus disait : c'est pas ceux qui crient (ce qui crie ?) seigneur, seigneur ! Qui entreront au Royaume. Forcément ! Quelle évidence ! Le royaume c'est le Désir en accomplissement, pour un bonheur éternel — ni début, ni fin, — car quand on goûte le bonheur il est présence hors du temps. On ne se dit pas : ça a commencé quand ? Ça a fini à quelle heure ? On est dedans !
Ecrit en mai 2012
Contente de te lire, même si c'est un peu touffu au saut du lit (surtout après avoir préparé le repas.
RépondreSupprimerUne faute de frappe intéressante dans le dernier paragraphe: "Ce n'est pas ceux qui crient Seigneur Seigneur"... et non pas ce qui crie.. Encore que pour ma part je trouve cela très bon.
Plus ça va et plus je pense que crier est une bonne chose et qu'elle est interdite au nom de la bonne éducation. J'ai longtemps laissé ce mot de côté, parce que cri et parole ce n'est pas la même chose. Mais on peut très bien crier sa parole et elle n'est plus un ronron, mais un jet pour atteindre l'Autre là où Il est.
Je vais relire...
Merci pour la remarque orthographique… Par respect du texte, je crois que je vais corriger. Mais en même temps je vais laisser l'autre version… Qui dit aussi bien des choses… Que je n'avais pas vues...
RépondreSupprimerpour ce que tu dis ensuite. Je réfléchis. Je relirai aussi pour te comprendre… Puis je verrai si j'ai quelque chose à dire…
Très intéressante cette tentative de définition du désir d' être. J'appelle cette aspiration pour ma part, la force vitale, l'énergie originelle. Qu'on la puise dans les étoiles, le yi-king ou l'évangile,où n'importe où d'ailleurs, mais toujours dans quelque chose d'extérieur à soi-même, elle s'apparente à un moteur (j'aime donc bien la métaphore "automobile" certes un peu prosaïque mais très parlante.)
RépondreSupprimerJ'aime bien l'idée que l'on ne soit rien sans altérité.Et la profondeur de ta réflexion renvoie cul par-dessus tête les théories fumeuses des charlatans du vingt-et-unième siècle, ça aussi, ça me plaît bien.
Ce chapitre 31 du voyageur, après une pause sans doute salutaire (salut, taire!) me semble te voir faire un pas de géant dans ta démarche -- mais sans doute l'évocation récente et très médiatisée de Neil Armstrong influence-t-elle mon jugement... ;) --
Bref, il m'a semblé, à la lecture de ton billet, que tu avais enlevé une mue supplémentaire.
Bises
@ GIBOULÉE
RépondreSupprimerDans ce texte, j'évoquais un cri qui serait réclamation d'un dû, quelque chose de revendicatif, façon défilé syndical…
Je n'ai pas d'attrait pour ce relationnel là avec un Dieu.
En revanche, le cri que tu sembles évoquer est d'une autre nature.
Il m'a fait penser aux cris de Jésus mourant : « j'ai soif ! »
Comme un cri lancé pour rejoindre. Un cri fondamental.
Celui-là m'intéresse…
@ CÉLESTINE
RépondreSupprimerIl me semble devoir apporter une précision, à partir de ce membre de phrase de ton commentaire : «…mais toujours dans quelque chose d'extérieur à soi-même »
je ne sais pas ce que tu veux dire exactement, mais il me vient de dire ceci :
Si la force vitale qui m'anime n'est pas réductible à ma personne, elle n'en est pas moins constitutive de moi, c'est-à-dire intérieure à moi-même. Sauf qu'en même temps elle me transcende. Ce n'est donc pas dans un ailleurs qu'en moi-même que j'en vois la manifestation.
Merci pour tes commentaires toujours intéressants et qui me permettent de mesurer si j'arrive ou non à me faire comprendre… Ce qui n'est pas évident ! Chacun ayant par ailleurs ses référentiels personnels…
Mais sinon, en effet, je suis en pleine mue…
:-)
Le vers d'Aragon dit :
RépondreSupprimer"Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre."
C'est l'autre (l'Autre ? ) qui fait le premier pas, tout au moins c'est ainsi que je le comprends.
bonne soirée.
@ NICOLE
RépondreSupprimerOui, oui, bien sur ! Je n'avais pas vu ma faute (faut que je me relise plus sérieusement !!)
en effet, l'autre fait le premier pas, c'est surtout ça que je voulais souligner en plus....
Merci de cette rermarque
Je suis frappée par le sens profond que tu donnes au "lien".
RépondreSupprimerCe lien qui relie authentiquement à l'autre (et sans doute au TOUT AUTRE)dans son altérité, dans le respect absolu qui il est, et non dans ce qu'on voudrait qu'il soit, pour combler nos besoins, nos manques...
C'est donc à partir du moment où on est en contact avec son Désir d'être qu'on peut se sentir 'relié' (tiens encore ce mot) à l'autre lui aussi en contact avec son vrai Désir d'être...
Cette qualité de lien, qui suppose un "abandon" total d'une personne pleinement elle-même et de plus en plus m’apparaît comme sacrée
C'est ce que je comprends de ton billet... et j'ai aimé te lire ce soir...
"La religion a cherché à m'inculquer par l'extérieur ses principes, sa morale, ses obligations, mais sans éveiller le fond transcendant de moi-même."
RépondreSupprimerPlus je vous lis, plus je constate que deux institutions qui se combattaient usaient des mêmes procédés, si je remplaçais le mot religion par école publique, je pourrais signer cette phrase. Les "hussards" étaient-ils conscients ou bien étaient-ils tellement formatés que le besoin de transcendance était complétement atrophié ? Je n'ai pas la réponse.
Pour ce qui est la nature de ce qui nous relie, j'ai envie de vous offrir cette phrase d'une homélie d'un prêtre moine : "les autres n’ont pas d’abord besoin de nous, mais de Celui qui vit en nous" ; Coumarine l'a dit avec d'autres mots.
@ coumarine
RépondreSupprimerJe n'ai pas grand-chose à ajouter ou commenter…
Une remarque peut-être : sur l'emploi du mot « sacré ». Disons que je me suis demandé quel sens tu lui donnais…
Le sacré évoque pour moi une dimension religieuse. C'est son sens premier. Cela suppose donc d'avoir été sacralisé par un représentant d'une divinité.
@ NICOLE
RépondreSupprimerLes institutions opposées se rejoignent dans les mêmes errances que tous les absolutismes qui se combattent les uns les autres…
Il nous appartient de leur tordre le cou pour retrouver l'essence profonde de qui nous sommes vraiment. C'est en tout cas le chemin que je tente de parcourir… D'où le titre de ce blog :-)
Merci pour la phrase. J'accueille ce cadeau. Même s'il me « dérange » dans la formulation. Mais c'est très bien ainsi !