Seuls existent les commencements,
les aurores nouvelles,
qui nous tirent de nos nuits.
Être toujours voyageur de l'Aube.

jeudi 15 mars 2012

17 - La prise de distance

Progressivement, un clivage s'était installé en moi.
— D'un côté, il y avait ma relation intime à Jésus. Quelque chose qui était à la fois choisi et à la fois un acte d'adhésion.
— D'un autre ma relation au « système religieux » de la très Sainte Église Catholique.  Quelque chose qui était imposé et à la fois un acte de rejet.

On m'apprenait que cette religion était de bout en bout voulue comme telle par ce même Jésus qui en avait décidé ainsi avant de rentrer à la maison, après avoir fait le job commandité par son père Dieu. Tout cela était relativement bien inculqué au niveau du système enseigné. De toute façon, sauf à faire un très gros péché, ça ne souffrait pas la remise en cause. C'était comme ça. Inscrit de toute éternité dans le plan de carrière de Dieu et de son entreprise de création. Comment un minus comme moi aurai pu avoir je ne sais quel doute sur cette vérité des vérités.
J'avais beau m'autoriser à penser que quand même ça posait quelques questions, le surmoi installé empêchait d'oser se les formaliser clairement.
Il n'en demeure pas moins que c'était incohérent en moi, avec d'un côté Jésus qui m'attirait, de l'autre un système religieux que j'exécrais.  Or, j'aurais dû aimer l'un et l'autre, si j'en crois les enseignements reçus.


Ma première prise de distance consista à enfreindre quelques pratiques obligées, telles la récitation de prières, la participation à la messe, la confession hebdomadaire et la communion. J'enfreignais ce qui ne devait pas l'être. C'était donc sur un fond de culpabilité. Pour que cela soit vivable, je continuais une pratique en pointillés, histoire de ne pas trop attirer les foudres de Dieu. On ne sait jamais… Le risque de l'enfer était quand même une sacrée menace !

Concernant le concept de l'existence de Dieu ou non. La question ne se posait pas. Dieu existait. C'était l'évidence. Le choix était : le suivre ou le renier.
Une autre évidence était : ne plus avoir les pratiques religieuses de la très Sainte Église Catholique,  c'était renier Dieu. Autrement dit, j'avançais progressivement vers le reniement. L'enjeu n'était pas de moindre importance !

Pour tenter de m'obliger à demeurer « pratiquant », il y avait bien entendu la pression parentale. Elle était d'autant plus prégnante que je n'avais encore guère d'autonomie physique dans ma vie ordinaire. Je ne pouvais même plus « sécher la messe » comme je le faisais enfant. Pour mes déplacements, j'étais à la merci des parents. La sacro-sainte messe obligatoire du dimanche était un incontournable. On m'y emmenait en voiture. Pas moyen d'y échapper.
Sauf que, l'immobilité physique obligée favorise l'envol dans sa tête. Si mon corps était assigné à résidence, j'avais l'esprit voyageur. C'était plus que de la rêverie en roue libre. Je savais être volontairement totalement absent de l'endroit où j'étais. Donc, d'une certaine manière, je ne « participais » plus à la messe… Seul mon corps était visible. Moi, j'étais ailleurs. Probablement que le prisonnier dans sa cellule vit quelque chose de comparable. L'homme à la faculté de s'échapper. Une évasion qui ne fracture aucune porte, mais qui transporte ailleurs, par un acte volontaire et de concentration. Ce n'est pas comme la rêverie où on s'échappe d'une réalité pour aller nulle part. C'est plus fort que cela. On se transporte hors du corps, non pas dans un rêve, mais dans une autre réalité.

Cette autonomie, j'ai fini par l'acquérir. Ce fut un combat, une petite guerre de tranchées avec mes parents. Les jeunes de mon âge (15/17 ans) réclamaient une Mobylette ou un scooter. Moi, je voulais un « Vélocimane à moteur ». Sorte de tricycle motorisé pour handicapés… moteurs !… Je finis par convaincre mes parents et obtenir gain de cause. Enfin libre ! D'une certaine manière je commençais à devenir un peu « comme tout le monde ». Il n'était plus nécessaire de me conduire à l'école, j'y allais avec cet engin. Cela me donnait un certain succès  auprès de mes camarades. C'était autre chose que les petites mobylettes… J'étais quand même équipé d'un 125 cm³,  3 vitesses. J'avais même  dû passer le « permis moto ».
Cet engin marqué une nouvelle étape dans ma vie. Une réelle prise de liberté devenait possible. Je dois ici rendre hommage à mes parents. Certes ils ont résisté, mais ensuite ils ne m'ont jamais freiné quant à  l'usage de l'engin. Eté comme hiver. J'allais même passer quelques jours de vacances chez mon ami JM,  parcourant plus de 150 km avec l'engin, qui, malgré la puissance de son moteur, ne dépassaient pas les 40 à 45 km/h…

Si j'évoque cet épisode, c'est que j'appris plus tard que la décision des parents fut prise sous l'influence de l'abbé L.  celui-là même qui avait favorisé le miracle de la légende familiale. Il avait donc une parole  de poids dans la famille.  Je l'ai déjà évoqué comme « messager ».  n'avait-il pas dit que c'est Dieu  qui l'avait envoyé vers moi ?  (cette parole est demeurée gravée au fond de moi). Voilà qui devenait conseiller en éducation parentale… Il est vrai que d'aucuns disent que Dieu serait un père…

4 commentaires:

  1. "l'immobilité physique obligée favorise l'envol dans sa tête. Si mon corps était assigné à résidence, j'avais l'esprit voyageur. C'était plus que de la rêverie en roue libre. Je savais être volontairement totalement absent de l'endroit où j'étais. Donc, d'une certaine manière, je ne « participais » plus à la messe… Seul mon corps était visible. Moi, j'étais ailleurs. Probablement que le prisonnier dans sa cellule vit quelque chose de comparable. L'homme à la faculté de s'échapper. Une évasion qui ne fracture aucune porte, mais qui transporte ailleurs, par un acte volontaire et de concentration. Ce n'est pas comme la rêverie où on s'échappe d'une réalité pour aller nulle part. C'est plus fort que cela. On se transporte hors du corps, non pas dans un rêve, mais dans une autre réalité."

    Alain, tu décris un expérience de yoga, d'assise profonde. je ne saurais pas mieux dire lorsque je plie mon corps -mobile lui - à l'immobilité. La mobilité rend d'ailleurs extrêmement difficile l'accès à la stabilité, à la paix.

    Pour moi, et ce n'est pas une provocation, "ton handicap", ce qu'il t'a amené à pratiquer, est la source vive de ce que tu viens d'écrire, de cette capacité cultivée à prendre contact avec Autre Chose, je ne sais pas mieux le dire. Tu as sûrement été contraint, ton livre l'illustre parfois, à te désidentifier du corps physique. Tu en as chié. Et cette désidentification est un cadeau, souffrant certes, qui gèle les pieds, etc. Mais il est un cadeau quand on sait accueillir les trouées que constituent les immenses claques de la manifestation. J'en ai connu de nombreuses moi-même, des raclées monumentales. Je les remercie.
    :)
    Merci.

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  2. le Voyageur18 mars, 2012

    Nat,
    Je pense en effet que mon immobilité contrainte fut une chance au regard de ce que tu dis.Pour supporter certaines choses il est parfois nécessaire de fuir ailleurs. Cette désidentification dont tu parles.

    Par ailleurs, la paix évoquée, qui suppose effectivement de ne pas être en permanence dans la course effrénée, cette paix, est aussi un ressenti du corps, généralement au fond de soi-même, ce qui suppose une centration sur « cet endroit ».
    Le yoga, où d'autres pratiques me sont impossibles en raison des postures corporelles, je n'en ai donc pas l'expérience. Sauf ce que je m'en invente par moi-même… Mon corps, tout paralysé (partiellement) qu'il soit, m'impose une présence à lui plus intense probablement que certains valides qui d'une certaine manière « vivent sans corps ». Dans cette hypothèse, ils ne connaissent généralement pas la paix. C'est d'ailleurs un mot absent de leur vocabulaire.

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  3. J'aime beaucoup ce texte ! du moins ce regard là que tu poses sur ce passage écrit de ta vie.
    Message ou non de Dieu, l'Abbé L. était bienveillant en tout cas ! :-)

    Sinon... J'ai relevé un passage fort intéressant... enfin intéressant parce que bien que je ne sois pas du tout dans la dépendance physique dans laquelle tu te trouvais (en plus de la messe obligée), mot pour mot, j'aurai pu écrire ce passage...

    "l'immobilité physique obligée favorise l'envol dans sa tête. Si mon corps était assigné à résidence, j'avais l'esprit voyageur. C'était plus que de la rêverie en roue libre. Je savais être volontairement totalement absent de l'endroit où j'étais. Donc, d'une certaine manière, je ne « participais » plus à la messe… Seul mon corps était visible. Moi, j'étais ailleurs. Probablement que le prisonnier dans sa cellule vit quelque chose de comparable. L'homme à la faculté de s'échapper. Une évasion qui ne fracture aucune porte, mais qui transporte ailleurs, par un acte volontaire et de concentration. Ce n'est pas comme la rêverie où on s'échappe d'une réalité pour aller nulle part. C'est plus fort que cela. On se transporte hors du corps, non pas dans un rêve, mais dans une autre réalité."

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    1. Merci beaucoup.
      Tu me donnes l'occasion de revisiter mon propre texte… écrit il y a quatre ans.
      J'avais oublié. Il n'était pas si mal quand même!… :-))

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