On se demande où il habite ce Dieu. Où est-il celui qui voit tout et ne se montre jamais, qui sait tout et ne dit jamais rien.
Un peu comme cette comptine du loup que l'on nargue, mais dont on craint qu'il nous tombe dessus un jour.
Dieu y es-tu ?
Que fais-tu ?
— Je mets ma grande soutane blanche de Dieu !
Promenons-nous dans le bois
pendant que Dieu n'y est pas
si Dieu y était
il nous mangerait !
Au Centre, le temps de la « communion solennelle » approche. Je constitue la liste des cadeaux que je souhaite : — le stylo avec une plume en or — le stylo-bille Waterman quatre couleurs chromé — la montre avec une trotteuse — le réveil lumineux — Histoire sans doute d'écrire le temps qui passe…
Nous serons trois ou quatre handicapés à faire cette communion à l'église du village, que je commence à connaître. Ce jour là je porterai brassard blanc à l'épaule, comme il est d'usage dans le village. Tout comme ma mère, j'avais rêvé d'une grande aube blanche, quelque chose qui aurait ressemblé à celle des enfants de choeur que je ne serai jamais, quelque chose qui me rappellerais les communions solennelles chez les frères des écoles chrétiennes, lorsque je regardais les élèves plus âgés que moi, du haut de la tribune où nous étions tous, faisant partie de La Chorale. J'avais alors ma petite voix pure de soprano (il y avait au moins cela qui n'était pas impur chez moi). Ce jour-là, il y avait en plus des musiciens, et je chantais de tout mon coeur l'Alléluia de Haendel, emporté jusqu'aux cieux. Les anges n'avaient plus qu'à apparaître, Jésus me sourire, me prendre dans ses bras, et tout serait merveilleux… Mais voilà, arrivait l'accord final. Après les retombées des derniers échos des cuivres et de nos voix, c'était le silence. Alors, le réel revenait, je rentrais seul à la maison et personne ne me posait de questions.
À présent mon tour arrivait, mais cela ne se passerait pas à l'école où j'allais. Je n'entendrai pas La Chorale qui avait répété pendant des mois, je serai le petit communiant allongé dans l'allée de l'église du village. Je pleurerai peut-être. Alors, peut-être aussi, me reviendra ce chant, tiré du psaume :
Du fond de ma détresse je crie vers toi seigneur
écoute mon appel
que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière.
Et puis il y avait le refrain :
Je mets mon espoir dans le seigneur
je suis sûr de sa parole.
Où donc pouvais-je mettre mon espoir ? Et je n'étais plus sûr de rien.
— « Dieu t'entend plus que tu ne le crois », avait dit l'abbé. Alors il y eut la retraite de communion solennelle.
Avec les autres jeunes du village. Permission exceptionnelle du Centre, probablement sur la demande, si ce n'est l'insistance de mes parents. Quelques séances de rééducation suspendues. Avait-on prévenu les futurs communiants ? L'accueil fut chaleureux. Je passais des heures heureuses. Aucun souvenir de ce que purent dire les curés et catéchistes. Je garde seulement la trace au fond de moi des autres enfants, qui ne posèrent aucune question, qui s'amusèrent avec moi aux pauses et récréations. C'était à qui pousserait mon chariot, et moi je riais, comme si j'étais des leurs. Enfin.
Était-ce ainsi que Dieu manifestait sa présence ?
— « C'est parfois à travers les autres… », avait dit l'abbé.
Les autres ? Mais c'étaient des enfants. Ça m'étonnerait. Dieu parle par la bouche des curés qui font des sermons et nous enguirlandent parce qu'on est plein de péchés. Enfin, c'est ce qu'on m'a appris…
Toujours très touchée par les mots de ce petit garçon, qui porte un regard plein de lucidité et de sévérité sur le monde religieux, qui au lieu de "relier" (religare) à tout transformé en préceptes moraux, au lieu de vivre l’accueil et le simple amour de l'autre comme les enfants du village ont pu le faire pour toi...
RépondreSupprimerOn sent ta colère encore bien présente aujourd'hui!
C'est une colère légitime il me semble…
RépondreSupprimerJe ne vais pas me comparer… Mais quand même… On parle parfois d'une colère divine !
Faut croire qu'elle n'est pas seulement un péché capital !
:-))