Seuls existent les commencements,
les aurores nouvelles,
qui nous tirent de nos nuits.
Être toujours voyageur de l'Aube.

lundi 16 avril 2012

25 - La rencontre de mon maître à penser

Ce fut tout d'abord par quelques-uns de ses écrits que l'on me communiqua. Je suis à l'époque, à la fois dans mes tourments de jeunesse, dont les lumières de l'amour, dans la multiplicité de rencontres de jeunes, dans la recherche de moi-même, de mon identité vraie.


Je trouve ces propos lumineux, éclairants. J'ai ce sentiment que quelqu'un voit à l'intérieur de moi mieux que moi, tant ce qu'il exprime rejoint confusément les aspirations fondamentales sur lesquelles je ne sais pas encore mettre mes propres mots.

Plus tard, une personne permettra la rencontre en face à face, ce qui m'amènera à nouer une relation avec cet homme de manière suivie durant plusieurs années.
Je ne puis mieux faire ici que de reprendre un texte, écrit en 2006 ou 2007, je ne sais plus, où j'ai tenté de l'évoquer du mieux possible ainsi que ce qu'il m'apporta.

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(…) Parler de lui, de sa personne, ne m'est pas très évident. Non pas que je n'en sois pas capable, bien au contraire. Mais je ne suis pas certain qu'il aurait aimé ça.

C'était un homme profondément ajusté à lui-même, à sa réalité, à ses ombres et ses lumières, en sorte qu'il avait une grande humilité, au meilleur sens du mot, c'est-à-dire qu'il n'était jamais ni dans la supériorité, ni dans l'infériorité par rapport à lui-même et par rapport aux autres. C'est probablement ce que j'enviais le plus chez lui, ce vers quoi j'aurais souhaité tendre : cet ajustement à soi.

Je crois qu'il avait quelque chose de singulier, quelque chose qui pour moi fut unique en tout cas : c'est l'intensité de sa présence, doublée par l'intensité de son regard. Je ne suis pas le seul à avoir témoigné de cette expérience-là.
Mais peut-être fallait-il une capacité vibratoire personnelle pour percevoir et se laisser atteindre par cette intensité. Car, dans la vie ordinaire, à le croiser dans la rue, à le voir acheter son pain, il était d'une grande banalité, vêtu sobrement, sans aucune ostentation, presque passe muraille… Il faut à son égard laisser tomber toute représentation que l'on pourrait avoir sur la notion de « maître » trônant au milieu de ses adeptes… ! C'était un homme relié à beaucoup de gens, mais particulièrement solitaire dans sa quotidienneté.
Lorsqu'il parlait en public, il donnait le sentiment de dérouler un monologue intérieur et intime dont on aurait été témoin par inadvertance.

L'intensité de sa présence, cela avait quelque chose de physique. Il habitait littéralement tout son corps, tout son "être"  était corps, corporé, fondamentalement « là ». Il manifestait qu'il avait réalisé une certaine unité en lui. Ce n'était ni un homme divisé, ni un monolithe. C'était un être totalement vivant dont on ressentait à chaque instant la vibration de vie émaner de lui et venir nous atteindre. Je me souviens d'un déjeuner au restaurant, en face à face, où cette totale présence à lui-même m'avait frappé. Il « était » dans chacun de ses gestes. Je ne sais guère dire autrement. Mais cela lui était d'un grand naturel. Il ne composait pas un personnage, d'ailleurs je crois qu'il en était totalement incapable… Jouer la comédie, prendre une posture, user d'artifices sociaux, tout cela lui était totalement étranger. Et même impossible je crois, comme par nature. À ne voir de lui que l'apparence, on l'aurait probablement facilement qualifié de paysan rustre.

L'intensité de son regard, c'est sans doute ce qui était le plus redoutable ! Ce n'était pas facile pour moi de croiser son regard, de le fixer dans les yeux.
Il est des regards qui vous jugent après vous avoir déshabillé. Il y a des regards qui ont une intensité de mépris, d'autres qui font peur, qui nous clouent sur place. L'intensité du sien n'était absolument pas de cet ordre-là.
Alors pourquoi était-il redoutable !
C'est parce que le regard de cet homme m'appelait à l'existence en allant réveiller le plus profond de moi-même, le plus essentiel, le plus intime de qui j'étais, avec une sorte de douceur, de bonté et d'amour, qui me soulevait tellement par le dedans que cela avait quelque chose de profondément étrange, mystérieux, en même temps qu'infiniment source d'une plénitude intérieure qui m'envahissait à son contact.
Dans son regard j'entrevoyais qui j'étais potentiellement capable d'être et devenir.
Difficile de rendre compte avec des mots de cette expérience quelque peu indicible, qui ne fut pas unique, mais se renouvela lorsque j'étais en sa présence.

Il me fallut aborder cette relation en thérapie. Ce fut un grand chantier ! Démêler les noeuds de confusion pour clarifier ce qu'il en est de la relation maître/disciple (pour employer une formule un peu simpliste), par rapport à la quête du père que l'on a pas eu… (Pour employer une deuxième formule simpliste…). Je rends hommage à la personne qui m'aidait à cette époque-là. Cela doit faire partie des "chances" que j'ai eues dans ma vie, tomber sur et/ou trouver les bonnes personnes au bon moment…
C'est ainsi que j'ai pu beaucoup progresser vers une relation libre par rapport à ce maître, en sortant des confusions que je viens de mentionner.


Voilà pour ce qui est de sa personne. L'essentiel que je peux en dire. Les interactions que j'ai vécues dans la relation.
À cela bien sûr il faut imbriquer son enseignement, ce que moi j'appelle ainsi en tout cas.  C'était un chercheur de l'homme et de l'humanité. Je dois bien reconnaître que c'est un peu ce que je suis devenu moi-même. Un chercheur. Le mot est pompeux. Disons plutôt que je suis sans cesse en quête de découvrir l'Homme, d'essayer de m'émerveiller, comme lui savait le faire, trouvant en tout une beauté que d'autres ne voyaient pas.
Je suis loin du compte… Mes chemins sont encore à aplanir. J'ai souvent rêvé d'être comme mon maître, d'arriver à faire l'unité en moi. Lorsque je lui disais cela, il répondait que décidément je n'avais encore rien compris…
« Contentez-vous d'oeuvrer à devenir vous-même en donnant de votre personne, répliquait-il, c'est une occupation à plein temps ».


J'ai une profonde reconnaissance envers mon maître à penser. Il était, je crois, comme disait cette chanson de Enzo Enzo, il y a quelques années :  « juste quelqu'un de bien… ». Je ne le mets pas sur un piédestal. Je ne lèverai pas une statue à sa gloire. Il était loin d'être un être parfait. Simplement, il m'a ouvert le chemin. C'est cela je crois la véritable humanité. Que chacun de nous ouvre des chemins pour les autres. Et ils sont innombrables. Alors, quand viendra l'heure pour nous de mourir, on pourra se retirer heureux de voir que tous les chemins restent ouverts…

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3 commentaires:

  1. Très bel hommage à ton maître à
    "p(a)enser".
    J'ai fait 3 rencontres essentielles dans ma vie. Elles m'ont profondément marquée.
    Ce sont comme trois rois mages qui, chacun à un certain de ma vie, m'ont montré l'étoile à suivre pour une nouvelle naissance.

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  2. Ces derniers temps, je cherche une personne comme celle là. J'en ai besoin. Besoin non pas d'un psy, d'un guru, d'un jesaistout, mais d'une personne qui par sa sagesse, me permettra d'aborder sereinement les questions que je me pose. Pour l'instant, toutes les personnes que je rencontre sont trop en colère (même juste un peu) ou à la recherche de reconnaissance, et elles m'obligent à les "trier" (trier ce qu'elles ont dans la tête) malgré moi. Je sais aussi qu'une telle personne sera mise sur ma route d'une façon ou d'une autre.

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  3. le Voyageur27 avril, 2012

    Léchalote,
    Oui, c'est tout à fait ça : une personne de sagesse. C'est-à-dire une personne qui a une expérience de vie, qui en a pris la mesure, qui vit une sorte de détachement/proximité avec les événements du temps.

    Je partage ta certitude qu'elle sera mise sur ta route. Faut juste être attentif quand elle passe…

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