Voilà deux ans que je ne pars plus en vacances « avec les parents ». Disposer d'une voiture (qui remplace mes jambes) aura été une grande libération, à la fois pour me déplacer, et à la fois cette bagnole devient comme un deuxième chez moi…
Cette année-là mes parents partent en Ardèche, dans un de ces petits villages perdus où existent encore un petit hôtel-restaurant-pension-de-famille comme on n'en fait plus… Mon père aimait des vacances dans des lieux plutôt désertiques, loin des nids à touristes, pour goûter au calme de la nature et si possible en moyenne montagne.
J'ai hérité cela de lui pour ce qui est des lieux retirés, propices à la méditation. Homme d'affaires débordé à longueur de semaine, durant les vacances et les week-ends c'était un contemplatif, un méditatif, un solitaire. Je ne l'ai réalisé que bien trop tardivement. Et d'une certaine manière je lui ressemble sur ces aspects.
À ce retour de vacances, ils annoncent à leurs enfants qu'ils ont acheté une vieille bâtisse du XII ou XIIIe siècle, en ruines. Il y a pour un an de travaux, et l'été suivant ils prendront leur retraite là-bas…
Je suis à la fois étonné et heureux. Mon père avait laissé entendre qu'il souhaitait diminuer sa charge de travail, renoncer à certains engagements, et là il nous annonce qu'il a réfléchi, ils ont décidé en couple de provoquer une rupture pour une nouvelle vie. Je les sens heureux. Heureux comme peut-être je ne les avais jamais vu jusque-là.
Mon étonnement est qu'ils vont « me laisser seul » dans cet appartement de la grande ville. Certes, je suis devenu parfaitement autonome pour la vie ordinaire, mais quand même, mon handicap ne me permet pas tout… J'oscille alors entre deux sentiments :
— Celui d'un certain abandon de leur part, mais ce n'est qu'un de plus. Après tout ils m'ont toujours laissé me débrouiller par moi-même. À moi de faire face. Mais il y a quand même une certaine amertume.
— Celui d'une forme de merci et de reconnaissance. Je ne suis pas le pauvre petit paralysé qu'il faut protéger et couver ad vitam aeternam. Ils me font confiance et ils ont confiance dans la vie, et là aussi j'eus cette même expression : À moi de faire face. (*)
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(*) « Faire face » fut longtemps mon blason personnel… C'était aussi le titre de la revue de l'Association des Paralysés de France (APF) fondée par un polio, avec des séquelles plus lourdes que les miennes, que j'avais rencontré, que j'admirais, qui était marié, avait des enfants. À l'époque il fut un phare pour moi.
Plus tard ce sera : « Victorieux de l'impossible ». (J'ai expliqué pourquoi cette expression sur mon ancien blog, désormais disparu…)
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Avec le recul, je peux dire que leur décision fut la meilleure qui soit. Il est des ruptures salutaires, nécessaires, tout en s'inscrivant dans une continuité d'existence. Des ruptures-ouvertures, comme on ouvre des vannes pour évacuer des eaux anciennes et faire venir l'eau nouvelle. C'est alors bénéfique pour tous.
Cela a changé ma relation à mes parents. Parfois la distance rapproche de l'essentiel, parce qu'une forme de proximité étouffe celui-ci dans les méandres des difficultés quotidiennes, des futilités qui prennent le devant de la scène, des pierres du chemin qui deviennent montagnes infranchissables…
Pourquoi évoquer ces événements dans le cadre de mon thème de recherche ?
À cause de : Dieu EST Relation ; auquel s'ajoute "Dieu-Père". Je vais garder cette dernière expression par commodité, et aussi parce que Jésus évoque cette relation fondatrice pour lui, sa relation à son Père (c'est-à-dire à Dieu). Remarquez que je n'écris pas Dieu-le-Père, ce qui à mes yeux enlève de la force et du sens, et constitue une terminologie rééducative. En effet, je ne procède pas à une sorte d'identification, de projection, qui accorderait à Dieu des attributs exclusivement masculins. S'il est le « tout autre » il transcende tout…
On peut penser ici à ces histoires plus ou moins humoristiques fondées sur un scénario au terme duquel on découvre que Dieu serait une femme… Çà étonne, ça fait sourire, parfois rire… Preuve que notre inconscient collectif estime que Dieu est un homme… Il est vrai qu'on le représente ainsi dans toutes les oeuvres d'art s'inspirant de la religion chrétienne. À l'origine, il n'y a pas une Déesse…
La relation est une réalité dont il faut prendre soin. De même que la paternité/maternité. On parle souvent de prendre soin des personnes. C'est juste, évidemment, mais si on regarde un peu plus près, il s'agit quasiment toujours de prendre soin de la Relation. Cette réalité aux contours protéiformes que l'on ne peut cadrer avec exactitude, même si on peut avoir recours à certaines méthodologies qui ont toute leur valeur pour nous apprendre la « bonne relation », il n'en demeure pas moins qu'aucun protocole scientifique relationnel n'existera jamais avec une rigueur implacable à efficacité garantie…
Peut-être en est-il ainsi de Dieu, s'il EST Relation, il est cette réalité active, remise entre nos mains, nous qui sommes gardiens et responsables de la qualité relationnelle qui peut se vivre, tant au bénéfice de l'autre que de soi-même. Alors, la parole de Jésus, je dirais même son exhortation : « aimez-vous les uns les autres ! » prend tout son sens. Il ne s'agit pas d'un devoir moral, mais d'un principe vital pour construire l'Humanité.
En ce sens la parousie chrétienne est remise entre nos mains. Le retour en gloire du Christ de la théorie chrétienne ne se produit pas selon le bon vouloir d'une divinité qui se lèverait un beau matin, et qui, de bonne humeur ce jour-là, proclamerait : « tiens ! Et si c'était pour aujourd'hui que je me décide ! »… Elle se produit quand la Relation qui unit les hommes aura atteint le degré du possible retour.
C'est dire s'il y a encore du chemin à faire lorsqu'on voit l'état de la planète.
Cependant, la reliance et une aspiration des plus fortes au coeur de l'homme.
Encore faut-il qu'il rejoigne son coeur ; et qu'il découvre le sens de sa vie.
C'est ce à quoi je crois. Que Dieu existe ou non, il y a dans le coeur des hommes des aspirations universelles.
C'est à cause de ces aspirations universelles, si fortes au coeur de l'homme, qu'il ne peut nier... que je me dis que "ça" ne vient pas de nulle part
RépondreSupprimerC'est trop "sacré" en quelque sorte
Et puis cette aspiration cherche à être comblée... elle implique une autre personne en vis-à-vis...
J'aime beaucoup la dernière partie de ta réflexion...
Coumarine,
RépondreSupprimerQuand je parle d'aspirations universelles,je réfère aux valeurs d'engagement et de services, de dons.
Cela vient de la nature profonde de l'homme.
Ensuite on peut poser la question de l'origine.
C'est là où je suis d'une énorme prudence dans ma recherche personnelle.
Je veux dire que la référence au « sacré » suppose un principe supérieur ( ça ne vient pas de nulle part comme tu dis), mais il y a un risque que le sacré ne se confonde avec le divin.
La capacité de l'homme de s'ouvrir à une sorte d'absolu, de transcendance, ne relève pas pour moi du sacré.
Mais c'est juste mon point de vue…
Depuis que j'ai lu cette phrase ici : Dieu EST relation, j'y ai beaucoup réfléchis. d'une certaine manière c'est une phrase qui éclaire beaucoup de chose dans ma vie. et principalement mon travail d'actrice avec Cynthia. Le théâtre n'existe que dans et par la relation à l'autre. Jouer ensemble c'est être relié par un fil invisible qui transcende les deux acteurs. Ce fil, c'est la cause, la raison d'être du dialogue, la pensée agissante.
RépondreSupprimerJ'ai appelé Philippe que j'ai rencontré à l'atelier de Cynthia mais avec qui je n'ai jamais joué. Nous allons travailler ensemble.
Ce sera joyeux.
;)
cette aspiration à l'universel dans la relation peut être dangereuse, la quête d'absolu peut se changer très vite en absolutisme.(si l'un prend le dessus sur l'autre)... le DEUX est toujours dialectique, .. le dialogue est toujours un diablogue.
RépondreSupprimerLe mot diable ne vient-il pas de deux : dualité !
K.
RépondreSupprimerTon premier commentaire : merci beaucoup pour cet écho. Cela me réjouit beaucoup que tu évoques ce fil invisible qui transcende. J'aime bien quand c'est concret dans la vie des personnes. Bon travail avec Philippe !
Ton deuxième commentaire : merci également, car il me permet de préciser que je ne réfère pas ici à une quête d'absolu qui s'imposerait à tous…
J'ai dit très précisément : «il y a dans le coeur des hommes DES aspirations universelles. ». Ce n'est pas la même chose qu'une aspiration à l'universel.
Je pense par exemple à l'aspiration à aimer et être aimé. Elle me semble être commune à tous les humains. Cette double aspiration fonde la relation humaine dans son essentiel.
En outre, je parle du "coeur des hommes", ce qui ne recouvre pas l'homme dans sa totalité. A lui de s'humaniser peu à peu, pour "chasser le diable"… ! :)
(pour reprendre ton évocation……).
Si on enlève toute la part "dieu", "religion" et tout le truc... Je te rejoins dans tes réflexions, dans tes interrogations également...
RépondreSupprimerComme je te disais un peu plus loin dans un autre commentaire, je rejoins également une de mes amies si on enlève toute la part de "magie", de "surnaturel"....
Dans mon rapport à la spiritualité, à la vie... Ce que tu dis de Dieu, je le pense intrinsèquement pour moi et pour l'Autre... Cet Autre que je mets avec un grand A ne s'agit pas que de l'être humain, mais de l'univers, celui qui m'entoure... du moindre petit grain de sable à l'humanité toute entière.
Dieu est relation. Je suis relation. Tu es relation, nous sommes relation. Dieu est partout, comme la magie peut être partout. Ce que j'appellerai aussi l'émerveillement de la vie...
Je rajouterai ton passage tant je suis consciente que la relation est un lien fragile... mais qui est également dotée d'une force incroyable quand on fait au mieux pour en prendre soin :
"La relation est une réalité dont il faut prendre soin. De même que la paternité/maternité. On parle souvent de prendre soin des personnes. C'est juste, évidemment, mais si on regarde un peu plus près, il s'agit quasiment toujours de prendre soin de la Relation. Cette réalité aux contours protéiformes que l'on ne peut cadrer avec exactitude, même si on peut avoir recours à certaines méthodologies qui ont toute leur valeur pour nous apprendre la « bonne relation », il n'en demeure pas moins qu'aucun protocole scientifique relationnel n'existera jamais avec une rigueur implacable à efficacité garantie…"
Prendre soin de la relation, c'est apprendre à s'écouter, se comprendre soi, s'accepter... Puis être capable d'accueillir aussi ce qui ne vient pas de Moi. Sortir de ma petitesse pour aller vers l'Autre... Entendre l'autre dans ses aspirations... et accepter que le chemin qu’il prend peut être éloigné du nôtre... et pourtant...
Et là je te rejoins Monsieur le Voyageur de l'Aube, il y a dans le cœur des hommes des aspirations universelles. Il y a cette quête de bonheur qui est en chacun de nous... Seul le chemin emprunté est personnel et propre à notre histoire, à nos origines, à nos différentes rencontres aussi...
Et petit apparté : pour ma part, je n'emploie pas le terme de "bonne relation" mais de la "juste distance dans la relation". Bien que, qui pourrait définir ce qui est juste ou pas ? mais je n'ai pas trouvé le terme adéquat... « Juste » et « Bonne » reste qualitatif quoiqu’il en soit…
C’est donc bien dans l'idée d'essayer de faire au mieux dans la relation... pour continuer à chaque instant de rencontrer l'autre. Car on rencontre perpétuellement l'autre... qui n'est pas figé à ce qu’on pense qu’il EST.
(bon même si je généralise dans mes propos, je ne parle que de ma propre expérience dans la relation à l'Autre)
(bon allez ! j'ai passé trop de temps avec toi ce matin !! :-D
Je retourne chez moi !)
A bientôt de lire la suite !
(finalement te lire m'a fait commenter ! Moi qui pensais passer discrétos c'est raté !)
Tu dis généraliser ton propos, mais on sent très bien que c'est enraciné dans une expérience personnelle.
SupprimerJe suis d'accord sur ton expression : « la juste distance dans la relation» .
Dis, maintenant, avec deux ans qui sont passés...
SupprimerJe parlerai aujourd'hui de "Juste proximité dans la relation..." =)
C'est en effet une manière plus dynamique de dire…
Supprimerencore que le terme « distance juste » a toute sa valeur, dans la mesure où beaucoup de problèmes relationnels s'enracinent dans des problématiques plus ou moins fusionnelles ou de transfert, de reconnaissance forcenée etc.… et probablement que pour avoir la juste proximité, il faut commencer à prendre une certaine distance avant que ne puisse advenir le « juste rapprochement »
;-)
c'est sympa de revenir se relire comme tu la fais.
C'est aussi valable pour moi qui ai relu ce billet vieux de cinq ans…