— Le contexte à la fin des années 80/début 90
L'engagement professionnel dans lequel je suis à la fin des années 80 : il me semble que j'en ai fait le tour. Je n'ai plus grand-chose à faire là. Je m'installe dans une routine. Je suis désormais « le chef ». Ma principale adjointe, jeune femme prometteuse et intelligente, personne fort compétente et en laquelle j'ai confiance, se verrait bien Calife à la place du Calife. Elle se réjouit des terrains de délégation de plus en plus vastes que je lui accorde. Cela lui convient. Moi aussi : j'ai du temps disponible pour préparer une reconversion professionnelle.
J'entre alors dans un processus de formation assez intensif auquel je consacre tous mes temps de congé, et plus encore. Je veux une vraie liberté. Exercer en libéral, valoriser mon expérience professionnelle dans le monde du travail et des relations sociales, y adjoindre de nouvelles compétences dans le domaine des sciences humaines, psychologiques et sociologiques, et aussi tout mon « bagage personnel » de tant d'années de recherche sur moi-même, sur l'homme, sur l'humain en général.
— Un « événement intérieur »
C'est un jour de printemps. Quelque part en campagne, dans la France profonde. Je suis seul. Il y a une sorte de banc de pierre au sommet d'une petite colline qui donne une vue agréable sur les terres de culture. Je m'assieds sur ce banc, pour goûter cette douceur printanière, contempler les cultures quasiment à perte de vue, laisser tourner mon esprit en roue libre. Je n'ai pas de préoccupation particulière à cet instant-là. Je goûte une sorte de présence à moi-même plutôt bienfaisante. Un léger bonheur de vivre très ordinaire. La nature. Le chant des oiseaux. Là-bas au loin, la rumeur d'un engin agricole. Les hommes au travail.
Et puis tout à coup une phrase, qui se prononce distinctement au fond de moi, sans que je m'y attende. Une phrase que je n'ai pas pu inventer. Une phrase qui n'est pas de moi, mais qui se dit en moi. Elle comporte exactement 17 mots. (*) Aussitôt, elle me met dans une intensité de présence, une dilatation intérieure encore inconnue, un sentiment de plénitude, une certitude majeure infaillible et inébranlable que je viens de recevoir une clé, un axe, une force, un sens pour ma vie, désormais.
En un instant : tout est changé, et rien n'est changé.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté sur ce banc de pierre, à goûter à l'intérieur les résonances de cette phrase. Ce fut à la fois intense et très ordinaire. En regagnant ma voiture, garée une centaine de mètres plus loin, j'ai ressenti comme un léger vertige, comme une griserie. Sur la route du retour je me suis mis à fredonner tout seul dans la voiture, Je ne sais plus trop quelles chansons. Mais tout cela avait le goût du bonheur.
— Conséquences
Au début des années 90, je quitte le service de l'État. Ma principale adjointe ne s'en réjouit pas plus que ça… Puisqu'elle fait pareil que moi. Elle s'en va pour devenir avocate. À chacun sa profession libérale…
Je rejoins alors un groupe de professionnels. Nous nous rassemblons autour de valeurs communes sur le sens de l'homme, l'avancée de l'humanité, la recherche ensemble de moyens pédagogiques à mettre au service de nos « clients », pour améliorer la relation à soi, la relation à l'autre, les relations sociales dans le monde associatif, médical et/ou professionnel.
Ce sont des gens à forte personnalité. Cela crée des liens forts, tout autant que des tensions fortes, à la mesure de nos enjeux et de nos « croyances ». Ce sera sans doute le groupe professionnel et d'engagement qui me tiendra le plus à coeur. Sans lui, sans la solidarité que nous vivrons, je ne crois pas que j'aurais réussi.
La question de Dieu, de la transcendance, les chemins de rencontre du divin, si divins il y a, les aspirations profondes des hommes en ce domaine, tout cela n'est pas exclu de nos travaux, au contraire. Mais le groupe ne se reconnaît pas d'appartenance directe à une quelconque religion. Il y a des personnes d'origine catho, protestante et même musulmane, tandis que d'autres ont été éduqués en dehors de toute religion. On pourrait dire que notre croyance commune c'est l'Homme et son développement.
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(*) Cette phrase je ne l'ai jamais écrite nulle part. Je ne l'ai jamais dite à personne. Elle n'a cependant rien d'inintelligible, elle est, en soi, compréhensible par quiconque. Elle se compose d'une affirmation qui m'est faites, et de quatre impératifs qui me sont adressés, non pas comme des ordres, mais un peu comme des appels à la fois surprenants mais qui me correspondent. L'un de ces impératifs mettra plusieurs années avant que je n'en comprenne le sens.
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Question: Peut on considérer ce moment comme une "naissance" ou une renaissance?
RépondreSupprimerUn peu comme si tout ce que tu as vécu avant se cristallisait dans cet instant, mais prenait une autre direction.
Je te remercie de nous avoir rapporté cela.
Giboulée,
RépondreSupprimerta deuxième phrase me convient très bien. Elle est très juste. Je ressens les choses comme cela.
Naissance ? Renaissance ?
Il y a de cela bien sûr. Je me méfie un petit peu du risque d'une formule quelque peu usée…
Peut-être pourrais-je parler d'une sorte de parole fécondante.
Tout à fait d'accord pour "fécondante";
RépondreSupprimerDepuis la lecture de ce texte, je tente de me remémorer les paroles fécondantes que j'ai reçues...
RépondreSupprimer.. Cette lumière qui jaillit ainsi reste-t-elle présente dans la conscience dans toutes les occasions. est-ce qu'elle ne s'assombrit pas quelques fois au contact du monde ou dans les difficultés ?
RépondreSupprimerJe pense à la parabole du semeur. une graine ne donne pas toujours des fruits . cela dépend dans quelle terre elle est planté....
...
cette terre ce serait la solidarité... d'après ton expérience : Se réunir autour de valeur commune, travailler ensemble, regarder dans la même direction.
c'est tellement rare, je dirais exceptionnel de pouvoir s'engager dans une communauté, sans renoncer à ses valeurs, son âme, son être intime..non ?
La somme des intérêts particuliers sont sensés, dans le système libéral, conduire au bonheur de tous et si c'était l'inverse : si l’intérêt général bien compris était seul capable de conduire au bonheur individuel...
ouh là là ... j'ai fait long :)
:) bonne journée
Charlotte,
RépondreSupprimer"Normalement" ce retour de mémoire devrait te faire du bien !....
K,
RépondreSupprimerC'est une lumière Et c'est une force intérieure. parfois on ne la voit pas, ou on ne la ressent plus, pour diverses raisons, notamment les difficultés de la vie, le constat (ou même la souffrance) d'un monde tel qu'il est ou tel qu'on nous le donne à voir.
C'est alors que l'engagement à plusieurs est une chance, en particulier par le soutien mutuel, à condition d'avoir tissé des liens « identitaires ».
Dans le langage courant on dirait : qui se ressemble s'assemble. Il y a un peu de cela. Ce n'est pas qu'on se remonte le moral, c'est surtout que l'on renoue avec le sens profond de l'engagement, sa raison d'être, sa finalité.
On ne renonce pas à ses valeurs, ce qui ne signifie pas qu'il n'y a pas de nécessaires adaptations individuelles. Elles sont « tolérables », tant qu'on ne renie pas l'essentiel de soi. si cela devait advenir : c'est clair, il faut partir.
Je ne sais pas si c'est rare. En tout cas je l'ai vécu. Je le vis encore, Même si c'est sous d'autres manières. sans doute faut-il qu'un « autre chose » nous relie et nous unisse, que seulement des bienfaisances relationnelles, ou des satisfactions intellectuelles.
Un « autre chose » qui engage fondamentalement. L'essentiel est une action à mener, voire une mission à accomplir.
J'ai dit souvent, je le répète, cela n'enlève rien aux difficultés, aux tensions de groupe, aux crises, etc.
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Le système libéral, ne conduit pas au bonheur de tous, puisqu'il se fonde sur la concurrence sans fin des uns envers les autres. il faut être le meilleur. Et tout le monde ne peut pas l'être… Le système tend forcément à l'élimination du faible. la soi-disant « main invisible régulatrice » est un leurre absolu. Il faut donc des systèmes de régulation et de redistribution au nom justement de l'intérêt général, c'est à mon sens un des rôles de l'État.
En France, actuellement, nous sommes loin du compte…
Alain,
RépondreSupprimerJe remonte rapidement le cours de tes billets, je pose quelques commentaires deci-delà sans svoir si tu répondras ou si je serai avisé par big brother d'une réponse: qu'importe.
J'ai vu les copains collégiens aller au catéchisme et je me suis senti bien de ne pas avoir été emporté dans ce qui m'est rapidement apparu comme une supercherie.
Mon cheminement m'amène depuis longtemps à m'intéresser aux modes de pensée orientaux et à y prendre appui pour une spiritualité qui me convient.
Revenant à ce billet: ainsi, il est des gens à qui ça arrive. Quelle peut être la part de l'engagement spirituel antérieur ?
Ca évoque pour moi une sorte de "révélation" que j'ai eu cet hiver (et qui n'avait pas cette densité mais m'a laissé physiquement épuisé) me faisant ressentir que j'avais bien plus de pouvoir que je ne crois pour accueillir l'autre et sa parole. Ca passe probablement chez moi par le toucher, qui semble sortir de l'ordinaire si j'en crois ce qu'on m'en dit et les réactions d'émotions que ça déclenche.
Le cheminement est passionnant, je regrette juste d'avoir vécu si longtemps "entre parenthèses"...
Cordialement...
Si tu as cliqué sur « m'informer » normalement tu reçois un avis par mail que j'ai répondu.
SupprimerMalheureusement comme je le dis sur ton commentaire précédent, j'ai tardé à valider des commentaires sur des textes publiés il y a longtemps.
C'est ce jour que je le fais.
Oui, je crois qu'il y a des « révélations intérieures » quelque chose que l'on n'a pas cherché, et qui arrive comme cela. C'est sans doute le résultat d'une alchimie interne, d'une lente maturation dont on n'a pas conscience avec son cerveau. Mais qui se fait à l'intérieur de nous. J'emploie souvent la métaphore d'une terre intérieure parce qu'elle a beaucoup de sens pour moi. Il y a des germinations qu'on voit apparaître alors « qu'on n'a rien fait pour ». Et pourtant ce sont des pousses nouvelles. À nous d'en prendre soin, de les cultiver, ou non… c'est cela la valeur de notre liberté de choisir.
J'espère que nous pourrons poursuivre le dialogue.
Alain,
RépondreSupprimerPrendre soin, cultiver... J'étais en train d'examiner sérieusement la possibilité de masser légalement sans pour autant m'encombrer d'une entreprise car je n'ai ni l'envie ni l'énergie d'y passer tout mon temps quand ce petit con de virus est venu m'interrompre. Et compte tenu de la distanciation, je ne suis pas près de masser !
Il faudra donc que je me remotive quand les dieux me seront plus favorables...
Quant au dialogue, je l'imagine de loin en loin, comme deux marcheurs qui cheminent chacun à son rythme et selon les papillons rencontrés...
Alain,
RépondreSupprimerAujourd'hui je suis un peu débranché de tout ça. Dans une énergie positive malgré l'hiver j'avais choisi d'explorer cet élan en réfléchissant à développer une activité de massage. J'avais rendez-vous avec une association d'aide à la création d'entreprises quand est arrivé le confinement... Après mes problèmes de pieds, de guitare, vivant seul avec pour seuls contacts téléphoniques une amie, ma soeur et parfois mes enfants qui étaient bien occupés par les leurs, l'énergie est retombée. Et qui sait quand on pourra masser de nouveau. Une copine de formation a rouvert son cabinet car les clients la demande, mais ça doit pas être simple, surtout pour débuter sans clientèle... Il nous faut attendre la fin de la parenthèse...
C'est forcément difficile tout ça après la période de confinement que nous avons traversé. Beaucoup de choses ont été bousculées pour beaucoup de personnes.
SupprimerJ'espère vivement que tu retrouveras l'énergie pour vivre un créneau qui te convienne le mieux pour engager ce que tu peux apporter dans ce petit univers.
On pense parfois que c'est pas grand-chose. Mais peut-être que toute l'existence est faite d'une multitude de « pas grand-chose » qui finissent par faire un ensemble… pas si mal que ça !…
Je te souhaite le meilleur.