Chaque semaine, se déroulait la messe obligatoire. J'avais le sentiment d'être un pion anonyme, mélangé aux enfants de mon âge, devant être attentif à « bien suivre la messe » : debout, assis, à genoux, débiter la prière au bon rythme.
Et puis : chanter ! C'est la seule chose que j'aimais…
Le Seigneur est mon berger, Rien ne saurait me manquer.
Le Seigneur est mon berger, Je ne manque de rien.
Sur des prés d'herbe fraîche, Il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ;
(Psaume 22)
Au-delà des froideurs liturgiques de l’époque, je fus sous l’influence de ce chant, et je le clamais de ma voix cristalline de soprano, avec une conviction et une ferveur enfantine dissimulée dans ce groupe d’élèves bourgeois. De manière intense je m’identifiais à ce psaume. C’était moi qui prononçais ces paroles, branché en direct avec le Seigneur.
Il représentait alors la chaleur et l’affection de ce « Bon Pasteur » aimant, attentif et envers lequel je débordais de reconnaissance. Je l'aimais, parce que je ressentais sa Présence, et non pas pour ce qu'éventuellement il aurait pu faire pour moi. D'ailleurs je n’avais nullement conscience que je puisse avoir un quelconque intérêt à ses yeux, moi le mauvais élève, qui n’arrivais pas à retenir en latin toutes les réponses à faire au prêtre.
Il y avait aussi les « petits chanteurs à la croix de bois ». Je les imaginais ayant atteint un suffisant degré de pureté, de sainteté, qui leur permettait, non seulement de chanter « officiellement pour Dieu », mais d'obtenir ainsi une proximité avec le Divin, dont je pensais qu'elle m'était inaccessible, pour ne pas dire interdite.
Cependant, quelque peu en cachette, j'entretenais avec Jésus une relation de proximité qui avait sa spécificité. Il n'était pas vraiment un ami, un confident, il ne se substituait pas à « mon ours », auquel je racontais mes misères. C'était autre chose, autrement. Difficile de définir ce que je ressentais vraiment, d'une part je n'avais pas les mots, d'autre part le souvenir est lointain, mais toujours présent au fond de moi. Il y avait une forme d'admiration, une sorte de désir de le suivre, sans très bien savoir ce que cela pouvait contenir.
C'est un peu plus tard que les choses se sont précisées.
Par le biais d'un enfant. Un chanteur soliste.
Une voix cristalline, comme une eau pure et fraîche, qui montait dans les aigus avec facilité, comme la mienne à l'époque.
Ce chant disait mon aspiration la plus intense et sans doute la plus folle.
Jésus, je voudrais te chanter sur ma route
Jésus, je voudrais t'annoncer à mes frères partoutCar toi seul es la vie et la paix et l'Amour
Jésus, je voudrais te chanter sur ma route.
Je n'ai retenu que cette strophe. Je la chantais dans la rue, à cloche-pied, un pied sur le trottoir, un pied dans le ruisseau, transgressant ainsi les interdits de ma mère (« Tu vas avoir les pieds trempés ! »). Mais j'avais bien le droit, avec Jésus on était libre, et ce serait une belle aventure.
Adulte, il m'est arrivé d'entendre ce chant repris en choeur dans un groupe. Mal chanté, trainassant. Je l'ai trouvé mièvre et nul. Une trahison. C'était mon chant. Le chant de mon enfance, qui m'avait tant remué de l'intérieur. Il m'appartenait, je voulais me l'approprier, ne le partager avec quiconque.
Ainsi Dieu se manifestait dans le chant, dans les champs, sur l'herbe fraîche, dans la nature, dans l'eau vive, bien mieux et bien plus qu'au catéchisme. Il n'était pas nécessaire d'aller à l'école des "Frères des écoles chrétiennes" pour le connaître.
Plus tard, des Saints Savants, labellisés par la catholicité, me diront que c'est Dieu qui appelle, histoire de me faire comprendre que mon vécu devait avoir un goût de frelaté dans ma bouche. Moi, j'allais vers, suivant la loi de mon coeur. Paraît que c'était pas comme ça ! Parait que j'avais pas pigé les moeurs de Dieu !
Comme c'est doux cette proximité libre avec une parole d'amour. Ce que je trouve terrible dans ce que tu racontes de la religion, c'est justement ce décalage total entre l'esprit et la lettre. Double contrainte me semble-t-il. Le rejet de telles pratiques ne peut être que violent.
RépondreSupprimerCa me donne froid dans le dos (l'image qui me vient est celle de cette scène terrible de viol dans Orange Mécanique que la beauté de la musique rend plus violente encore).
Lise
Merci pour ce commentaire.
RépondreSupprimerTERRIBLE : c'est le mot !
En tout cas cela a eu des conséquences terribles sur moi.
(Je vois très bien la scène que tu évoques dans Orange Mécanique…)