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Être toujours voyageur de l'Aube.

mardi 27 mars 2012

19 - Un autre Jésus

Un livre va me marquer fortement. Nous sommes en 1970.
« L'aujourd'hui les Évangiles » de Jean-Claude Barreau
Jean-Claude Barreau fut le premier qui eut à mes yeux un langage novateur. C'était étonnant, pour un curé écrivain. J'ai eu l'explication plus tard, puisqu'il abandonna la prêtrise pour devenir un homme ordinaire… Enfin pas tant que ça, puisqu'il publia des dizaines d'essais, fut conseiller de François Mitterrand, ( lui qui était plutôt gaulliste),  puis rejeté par les socialistes en raison de ses positions tranchées sur l'islam, il devient conseiller de Pasqua au ministère de l'intérieur. C'est dire si le personnage ne manque pas d'originalité.


L'essentiel qui me reste, et que ce livre m'a fait passer du "Petit Jésus"   de mon enfance, (que j'avais fini par laisser choir, comme un jour on abandonne son nounours), à "Jésus homme". À une sorte de découverte de ce qu'il est convenu d'appeler « son message » exprimé à travers des faits de vie. En quelque sorte, l'expérience d'un homme hors du commun et qui me parlait, à moi, aujourd'hui. Tel était sans doute le sens du titre de ce livre.
Il est probable que c'est grâce à cet ouvrage que je me pris de passion pour cet homme Jésus et que je me mis à méditer son enseignement compilé dans les Évangiles.

Je commence alors doucement à oser différencier la personne de Jésus en tant que maître à penser, de la très Sainte Église Catholique en tant que maîtresse du bourrage de crâne, en vue de l'asservissement des esprits.

Je dis bien « doucement oser » car l'imprégnation est encore excessivement forte en moi. On ne se désintoxique pas aussi facilement que ça de l'emprise exercée par le système oppressif chrétien, qui n'est jamais qu'une « secte qui a réussi » comme diront certains. On trouve en effet en son sein tous les ingrédients des sectes classiques, (des pratiques répétitives abrutissantes aux déviances sexuelles, etc.), sauf que L'église est une secte non seulement tolérée, mais valorisée par tous les pouvoirs en place en occident tout du moins jusqu'au XXe siècle. 
« le sabre et le goupillon » comme chantait Jean Ferrat.

À l'heure où j'écris ces lignes, je ne suis même pas encore certain que ma désintoxication soit entièrement achevée. J'ai encore, parfois, ce besoin irrépressible qu'ont toutes les victimes des sectes : faire rendre gorge à tous les grands gourous !

Chaud bouillant !

La période 1969 (année érotique comme chante Gainsbourg) - 1972, (année du mariage) est l'une de mes plus riches en termes de recherche de mon axe d'existence, de mes engagements centraux. C'est l'époque de tous les possibles au coeur des 30 glorieuses, dont on ignore encore quelles sont moribondes.
Tout jeune adulte, je brûle ma vie au maximum. Cependant, je ne peux pas dire  qu'un moment ou un autre j'aurais fait un peu n'importe quoi. Certes, il y a des choses que je regrette, mais, comme ligne de fond, ma conscience profonde me guide. Bien sûr, je dis cela avec le recul des années. Dans les événements successifs de l'époque ma conscience n'est pas clairement présente à mon entendement.
Je suis beaucoup en recherche d'un groupe d'appartenance, d'une petite communauté de destin, rien que ça ! La fac de droit est un bon terrain d'observation. Entre les gauchistes qui nous préparent le grand soir, et "La Corpo" plus ou moins aux mains de l'extrême droite, il y a les adeptes d'expériences nouvelles, les sectes qui explosent, la méditation transcendantale, Hare Krishna et ses mantras, le renouveau charismatique auquel tout bon catho (riche si possible…) doit participer  et  recevoir l'effusion de l'esprit à grands coups de transes et de prières en langue, histoire de retrouver la dynamique de la primitive église. Sauf qu'on n'avait pas anticipé que, comme aux premiers temps, la débauche sexuelle, les orgies, et les exorcismes collectifs auraient le haut du pavé…. On passait de "aimez-vous les uns les autres" à "aimer vous les uns SUR les autres…" Les curés qui avaient le goupillon frétillant et les grands gourous autoproclamés, amateurs de chair fraîche, avaient de quoi se réjouir ! La hiérarchie catholique officielle préfèra fermer les yeux, pour assouvir ses besoins stratégiques de "nouvelle évangélisation". Comme  les gens ont déserté les églises et les messes à l'ancienne, il restait l'espoir de rattraper les adeptes par la manche en bénissant ces communautés nouvelles, mères-porteuses d'un regain du chiffre d'affaires…

Je n'irai pas manger à tous les râteliers, mais je chercherais çà et là un foin qui me convienne… Sans vraiment y parvenir. Je cherche le Divin et la profondeur mystique de mon âme, et je tombe sur des illuminés du blabla et des obsédés de la braguette.

Je n'aborderai pas ici ma vie amoureuse de l'époque, si ce n'est pour mentionner ma première vraie histoire d'amour, qui me marquera profondément, et qui, comme bien des épisodes de jeunesse, se terminera en vrai grand chagrin d'amour…

. La rencontre de celle qui deviendra mon épousée, c'est évidemment bien autre chose. Je l'évoquerai dans cette dimension de ma recherche de la question de Dieu.
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Prochain thème : l'expérience communauraire

8 commentaires:

  1. J'ai bien aimé te lire Alain, en particulier cette phrase : "On passait de "aimez-vous les uns les autres" à "aimer vous les uns SUR les autres…" :)))))

    Je suis né en 1971 et j'ai donc été éduqué dans cette ambivalence idéologico-spirituelle que tu évoques, avec les difficultés de se positionner dans un monde extrêmement normé et formaté par un ordre séculaire sectaire.

    Je voulais te dire merci parce que la lecture de ton texte vient de me mettre une bonne petite claque, me faisant découvrir l'extraordinaire courage de mon père, à partir de 66, pour s'extraire de ce monde. Issus d'une culture ultracatholique, il intègrera les rangs de la radicalité politique, de l'anarco-communisme actif un peu avant 1968. Bien sûr, la prégnance de l'idéologie chrétienne le conduira, une fois père, à nous conduire à l'église, au cathéchisme, mais avec cette conscience de veille visible dans son regard qui toujours nous dira : "n'y allez pas! je n'y crois pas!". Bien sûr, cette contradiction fondamentale nous apportera peu en termes d'éducation et je lui serais longtemps vindicatif de ne pas avoir bénéficié de lignes claires d'existence. Aujourd'hui, les choses se présentent un peu différemment : je suis l'héritier de cette radicalité et la liberté implicite qu'ils nous a offert, à mon jeune frère et à mes soeurs, nous aura permis, dans une certaine mesure, d'être libre de nos choix, avec nos enfants, avec ce qui fait le monde...

    Bien à toi, sincèrement.
    nat

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  2. J'étais bien jeunette (7 ans) à cette époque et ce que je sais de 68 and co c'est ce que j'ai pu en voir à la télé.
    Ma mère m'a juste dit qu'elle accompagnait mon père aux AG à la fac.

    Ce devait être en journée pendant que mon frère, ma soeur et moi, étions à l'école. A moins qu'ils nous laissaient le soir après que nous nous soyons endormis.

    Pour information ma mère n'a pas fait d'études (elle a juste son certificat d'études) alors que mon père a été un "étudiant attardé" et qu'il n'a jamais quitté ce milieu puisqu'il était prof en fac.

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  3. le Voyageur28 mars, 2012

    Moi aussi je tiens à te dire merci pour ce que tu dis de toi et de ton père.
    J'ai pensé : Je l'aime bien ce père-là !
    À la fois le tien, mais aussi toi Père de tes enfants.
    j'imagine bien ton père anarcho communiste allant à la messe… J'en ai connu quelques uns comme ça. Des êtres passionnés et passionnants. Mais comment faire l'unité en soi avec tout ça…

    C'est vrai qu'il y a de la radicalité en toi et un esprit libre.

    ...ne pas avoir bénéficié de lignes claires d'existence
    C'est probablement une grande faille de cette époque-là vis-à-vis des enfants que l'on a trop souvent considérés comme des « minis adultes », ne leur offrant pas ces lignes claires que tu évoques, et qui sont indispensables pour structurer sa personnalité.
    J'en ai reçu bon nombre en entretien d'aide…
    il y avait du taf ! :-))
    Mais en fait, tout est là, au fond de nous, faut juste qu'on nous aide à lire le "mode d'emploi de soi". ça peut faire un peu mécanique, Mais je ne trouve pas d'autres expressions à l'instant.

    je pense à l'apprentissage du langage et de l'écriture. Avec ces précieux livres d'histoire qu'il faut sans cesse parcourir avec l'enfant.
    au début on regarde les images
    on lit une partie du texte
    après on dit :- c'est qui là ?
    - le sssssa
    - non le CHat ! CHat !
    - le sssssa !

    Après on lit l'histoire, parce qu'il s'intéresse à elle.
    Encore après il la mémorise mot à mot. Y a pas intérêt à changer un mot pour l'autre !
    La consigne ! C'est la consigne ! Les grands doivent aussi la respecter. Intonations comprises !
    - tu lis mal ce soir !!

    Toujours après, on commence à pouvoir lire tout seul. Au moins en partie.

    Un jour, on laisse tomber le texte et on commence à inventer sa propre histoire avec les images…
    On a gagné en liberté
    mais quel apprentissage…

    chez moi, le Goncourt familial fut décerné à : « la petite poule rousse »…
    :-)

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  4. le Voyageur28 mars, 2012

    Suzame,
    Je comprends qu'ils y allaient ensemble…
    C'était bien mieux qu'au cinéma.
    C'était gratuit, en 3D, avec plein de rebondissements, ça criait dans tous les coins.
    La bataille pour le micro était pire que la quête du Graal

    Toute une époque !

    ( À mon avis, il y a plus de chance que c'était en journée… La nuit, lorsque les locaux étaient « occupés », chacun se livrait à des activités… Disons plus intimes…
    faisons mieux connaissance camarade !:-)
    La révolution à ses bons côtés !…)

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  5. L'appartenance à un groupe est quand même drôlement importante ! on aime se reconnaître dans les autres ou bien on souhaite être reconnu pour ce qu'on est ! pour cela on a besoin les uns des autres.

    Et puis on cherche Dieu, le Divin, l'âme : qui viendrait comme un sauveur nous affranchir de ce besoin de reconnaissance. On deviendrait capable de se reconnaître tout seul grâce à un vecteur ascendant, transcendant : un plus que soi en soi... (le divin en soi)

    1968 : La quête semblait à portée de main, quelque chose de si soudain, je suppose devait se passer dans la tête des gens à ce moment là, quelque chose comme la vie qui surgissait, partout et surtout en même temps, collectivement ! une liesse s'emparait de la population, une espèce de soulagement, d'ouverture sur "un autre monde possible"

    C'est comme ça que je vois mai 68 (j'avais 7 ans)
    Ce devait être très enthousiasmant


    Bon, quoique chez moi, c'était pas ça. tout le monde peut pas avoir la chance d'avoir des parents communistes :)

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  6. le Voyageur11 avril, 2012

    K.,
    Être reconnu pour ce qu'on est, c'est un besoin fondamental. Cela permet de vivre ses aspirations essentielles, surtout si le groupe est une sorte de « lieu d'appartenance ». Je ne pense donc pas qu'il y a lieu de vouloir s'en affranchir.
    Ce qui ne va pas, c'est lorsque ce besoin est exacerbé, généralement par manque de reconnaissance légitime dans son histoire personnelle.

    C'est toute la différence entre :
    . faire des choses pour être reconnu, (vite, ma Légion d'honneur !)
    . et : être reconnu sans le demander parce qu'on fait des choses valables…

    1968 : c'était un peu ça : un autre monde possible !
    Il y eut cette sorte d'alchimie qui a fait que l'on y a cru.
    Il ne faut pas oublier que c'est parti du peuple des étudiants. C'est là toute la différence. Les politiques et les syndicats étaient totalement à la ramasse au départ…
    Par définition, la classe dirigeante est hostile aux révolutions… Peut-être alors les dirigeants ont-ils eu la bonne idée de prendre le train en marche.
    Je pense en particulier à tous les acquis sociaux nés après 1968 : les "accords de Grenelle" sont quasiment devenus un mythe.
    Cela a tellement marqué les esprits qu'on a gardé le concept : le "Grenelle de l'environnement", par exemple… Encore qu'en l'espèce ce fut un total échec…

    Moi, je me fais vieux… J'ai fait mon temps…
    Je me demande où sont passés les jeunes en quête d'un autre monde possible !
    C'est terrible comme la société d'aujourd'hui les a complètement anesthésiés…

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  7. Moi j'étais encore loin d'être née... je ne vais pas pouvoir m'arrêter sur ces années 68.

    Alors je voudrai reprendre quelque chose qui a fait résonance en moi :

    "On ne se désintoxique pas aussi facilement que ça de l'emprise exercée par le système oppressif chrétien, qui n'est jamais qu'une « secte qui a réussi » comme diront certains. On trouve en effet en son sein tous les ingrédients des sectes classiques, (des pratiques répétitives abrutissantes aux déviances sexuelles, etc.), sauf que L'église est une secte non seulement tolérée, mais valorisée par tous les pouvoirs en place en occident tout du moins jusqu'au XXe siècle. "

    J'étais en CM2 ou 6ème je crois (donc 10-11 ans peut-être ?!). A cette époque-là, tout l'été, j'allais à la pagode. Non pas pour prier ou faire des bonnes actions.
    Je faisais des répétitions de danse afin d'aller danser au palais des congrès le jour où LE GRAND MOINE allait arriver en France.
    Bref, du coup, y être tous les jours là-bas m'a fait voir les rites, les rituels, les prières...
    Je me rappelle encore de cette impression d'étrangeté lorsque j'ai vu les moines et tous ces bouddhistes à la queue leu-leu faire le tour de la pagode avec leur prière et le bol tibétain. On me tirait par le bras pour que je rentre dans cette ronde. Mais que diable j'ai dit non. Cette étrangeté je l'ai associée à secte en ressortant le soir. Je continuais à aller à la pagode car j'aimais les copains que je me suis fait et puis je découvrais le plaisir de danser.
    J'ai toujours été considérée comme celle qui ne faisait jamais comme les autres, qui n'en faisait qu'à sa tête, qui n'écoutait jamais les grands (et DIEU sait comme dans ma culture ne pas écouter ses aïeux était mal vu)...
    Mon entourage tenait un double discours, qui me fait penser à ton surmoi un peu, entre me dire "ce n'est pas bien ce que tu fais à ta famille, à notre communauté" et en même temps "je t'admire d'oser le faire". Ce tiraillement durant toute ma jeunesse était de ne jamais me laisser embarquer dans ce que je ne voulais pas... Bien que "vilain petit canard", j'essayais de ne retenir que "Je t'admire d'oser..." Ce qui m'a donné de la force pour ne pas entrer pleinement dans la religion que je trouvais sectaire. (je n'avais pas les mots à l'époque, je les pose avec les mots d'adultes, mais c'est le ressenti que je garde de cette enfance-là)

    Ce qui m'a aidée, c'est cette culture française, la liberté... pour sortir de cette partie de la culture asiatique dont je ne voulais pas faire partie. :-)


    J'aime bien te lire Alain, juste parce qu'il y a ce quelque chose de tellement universel dans le parcours singulier de tout un chacun.

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    1. Merci beaucoup pour ce témoignage. Il est très intéressant en terme de diversité.
      Je suis évidemment ému de tout ce que tu dis la culture française. De la liberté offerte.
      C'est le résultat d'une république laïque qui a enfin décidé de la séparation de l'église et de l'État en 1905. Il aura fallu quand même attendre plusieurs siècles…
      Et ce genre de combat n'est jamais définitif…

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