Seuls existent les commencements,
les aurores nouvelles,
qui nous tirent de nos nuits.
Être toujours voyageur de l'Aube.

samedi 25 février 2012

13 - Dieu n'est pas au Centre (suite...)

(...)
Il y a cependant un point positif : plus de confession obligatoire, plus de messe obligatoire !
Hélas, ça ne dure pas…
Au bout d'un certain nombre de mois d'interdiction de rentrer chez moi, voilà que mes parents sont autorisés à demander un bon de sortie pour la journée du dimanche. De 10 heures à 17 heures, ou quelque chose comme ça. Il faut cependant que je demeure allongé sur le ventre (position qui est la mienne en permanence pendant le jour, histoire de préserver de la scoliose et autres déformations…). À la maison, on installe tout ce qu'il faut pour ça. Au Centre je dispose d'un chariot plat qui me permet de me déplacer, plus ou moins par mes propres moyens. Chez moi, je resterai toute la journée à la même place. Mais au moins je suis chez moi…
Mon père vient me chercher en voiture à l'heure dite. Le dossier du siège passager avant de la DS-19 peut se rabattre totalement. Je peux donc être allongé comme demandé, la tête dans le tableau de bord, les pieds près de la lunette arrière. Mais avant, mon père déclare : 
— « On va à la messe ! ». 
L'église du village est à 300 ou 400 m du Centre. On ira avec le chariot plat. On reviendra jusqu'à la voiture. On rentrera à la maison. Bilan : la matinée est fusillée pour Dieu…

En ce temps-là, il est hors de question de manquer la messe du dimanche, sauf si on est dans la totale impossibilité de s'y rendre. Cela n'est plus le cas. Il faut donc remplir son devoir religieux. S'abstenir serait un grave péché !

Comme déjà relaté précédemment, Dieu met la créature à l'épreuve. En l'espèce, ce sera l'épreuve du regard des autres bons-chrétiens-qui-vont-à-la-mese… Déjà, il faut quelques hommes forts pour faire monter au chariot plat les marches du parvis de l'église. Heureusement, je suis sanglé dessus, comme un paquet, comme les valises qu'on attachait sur la galerie-de-toit de la voiture pour partir en vacances. Au temps d'avant. Comme les braves hommes ne sont pas d'une adresse folle, qu'ils peinent à maintenir le chariot plat à l'horizontale, je m'accroche aux barres, je fais confiance à la sangle qui m'aplatit les fesses sur le chariot, histoire de ne pas basculer dans le vide et de ne pas me prendre une gamelle sur les marches en pierre d'une des résidences secondaires de Dieu. Franchie l'entrée, mon père à la bonne idée d'avancer ledit chariot dans l'allée centrale. Heureusement, pas trop loin. Sinon on aurait pu croire qu'il s'agissait d'une messe d'enterrement, avec le mort sur son beau chariot, même pas emballé dans le cercueil. Certes, le corps est mort, mais la tête fonctionne encore. Faudra attendre pour pousser le chariot plus loin et l'entourer des cierges de circonstance.

Alors, évidemment, tout le monde se retourne, murmure, car comme dad' nous sommes arrivés en retard. Là-bas, tout en avant, le curé de service doit se demander ce qui se passe. Je ne me souviens plus si c'est encore l'époque où le curé célèbre fesses au peuple, faisant sa petite tambouille sans rien montrer à personne, ou s'il est face au peuple, selon l'application de la réforme liturgique du concile Vatican  number two.

La voilà la nouvelle épreuve divine, comme dans les jeux télévisé. « Qui veut gagner des millions d'années au ciel ? »  Cette fois, cher candidat, vous allez être confronté au regard des autres, vu comme la bête curieuse de service. Allez-vous résister ? Saurez-vous tenir le choc ? Comment allez-vous réagir aux regards en dessous, à la dérobée ? La curiosité l'emportera-t-elle sur la piété nécessaire ? Pour une fois qu'il y a un peu de spectacle, il faut savoir en profiter. Allez, cher petit candidat chrétien, tout le fan-club du paradis vous soutient ! Dieu lui-même est rivé sur son écran.
 Je ne sais pas quelle tronche j'arbore. J'aimerais disparaître. Devenir l'homme invisible. C'est trop d'un seul coup. Toute une foule. Je n'ai pas encore appris à affronter ça. Au Centre c'est l'autarcie. On est tous entre tordus. Et le personnel ne fait pas de différence. « Avant », comme je l'ai relaté, je cherchais à attirer les regards sur ma capacité à bien suive sur son missel. Mais là, j'ai été donné en pâture. Humilié. La tête à hauteur du cul des autres. Je n'ai pas encore le courage de leur balancer un doigt d'honneur, comme je le ferai bien plus tard…

Dois-je remercier Dieu de ces nouvelles confrontations ? Est-ce que ça lui plaît que je sois obligé d'aller à sa messe, plutôt que bénéficier d'un peu de chaleur dans un chez moi retrouvé ? Est-ce que ça lui plaît que grâce aux obligations cultuelles de la très Sainte église catholique, le temps de présence en famille soit raccourci d'une bonne moitié ? Je n'en sais rien. Je ne me révolte pas. Je subis. Fini l'espace de liberté d'aller fumer en cachette pendant la messe. Fini le petit Jésus, dont je me demande s'il n'avait pas alors un bon sourire un peu complice de me voir ainsi transgresser ces conneries, à l'âge où un gosse préférerais parler à Jésus en français plutôt qu'en latin.

8 commentaires:

  1. C'est presque de la cruauté mentale de t'infliger ça! Et pourtant ton père t'aimait!
    Comment expliquer cette rigidité au "devoir" de Chrétien qui dimanche après dimanche, rendra un enfant si mal-heureux?

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  2. C'est monstrueux ! Au deux sens du terme : odieux et démonstratif. Humiliant, en effet. Cela démontre bien les ravages que pouvait causer dans les consciences cet endoctrinement : Dieu avant tout ! Donc opter pour la messe plutôt que pour la présence en famille. La religion plutôt que le coeur...

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  3. Pour avoir travaillé comme psy dans un centre de rééducation fonctionnelle et pour m'être battue avec ces foutus chariots plats qui refusaient d'entrer dans mon bureau (et oui, la psy fallait qu'elle se débrouille toute seule, puisque personne ne savait à quoi elle servait), je dois dire que je vois bien la scène. c'est complètement fou.

    j'ai toujours pensé que dans l'évangile du paralytique qu'on fait passer par le toit, personne n'a jamais parlé de la trouille qui a dû être la sienne quand on l'a descendu. j'ai testé parfois des lèves malades pour comprendre ce que cela faisait et je n'aimais pas.

    Ce que tu dis, cela donne envie de hurler, hurler avec ce christianisme de rites, de peur de l'enfer, bref de peur, pas d'amour.

    Je pense que quand on a été comme toi "chosifié " à ce point là, alors toute sa vie on se bat (et on aide aussi les autres) pour que cela ne se reproduise plus. Et oui pour le doigt d'honneur.

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  4. C'est affreux ,c'est dégueulasse... Comment tu as pu survivre à tout cela ?
    Il y a en toi une force de vie qui me dépasse complètement...

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  5. Coumarine,
    je suppose qu'il se sentait dans son rôle de père, chargé d'inculquer le respect du devoir chrétien.
    Je n'estimais pas que c'était cruel de sa part.

    La cruauté venait de la religion qui l'avait formatée
    de cette manière, comme toutes les ouailles de cette époque-là…

    -----------
    Pierre,
    c'est tout à fait ça !
    Je me souviens de ma voisine de palier, qui était de la génération de mes parents, une brave dame bien sympathique ! Elle répétait souvent :
    « Dieu ! Premier servi ! »

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  6. Giboulée,
    je crois en effet qu'il faut HURLER contre ce christianisme là.
    Hurler aujourd'hui… Car il n'a pas disparu dans ses déviances…
    HURLER Comme Jésus le fit contre les religieux de son temps…
    Question de salut !…


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    Le paralytique qu'on a descendu par le toit, il était volontaire ( enfin j'espère…), Pour lui le jeu en valait la chandelle…
    Mais il a dû sûrement devoir bien s'accrocher lui aussi…
    :-)
    Je dois dire, que ce type-là est pour moi un bon copain…
    :-)

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  7. Charlotte,
    je vais te dire…
    Cette force-là, elle me dépasse aussi complètement…
    C'est probablement pour ça qu'elle est une force…

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  8. Bonjour Alain,
    En lisant des témoignages sur la vie d’ »autrefois », je constate avec un certain effroi que les gosses étaient traités à la dure. Mais aujourd’hui, ils sont laissés quasiment à l’abandon (quelle éducation? Combien de temps de présence de la mère?) Bref je ne sais lesquels sont les mieux lotis.
    Par ailleurs la pratique religieuse telle que tu la décrit semble superstitieuse, c’est-à-dire fondée sur la crainte de mal faire ou de ne pas faire. Parce qu’ils n’avaient pas la foi, celle du charbonnier, la confiance évidente, qui vient de l’expérience vécue. Il semble que tu l’aie.
    L’erreur qu’ils commettaient était de croire que Dieu punit. Mais il n’est qu’amour. C’est nous, par notre refus d’aimer qui recevons le retour de bâton. On récolte ce qu’on sème. Par contre Dieu n’est qu’amour, il « suffit » de s’ouvrir pour le recevoir. Et pour accepter cet amour qui vient d’ailleurs, il faut commencer par se sentir aimer par sa propre mère, et par d’autres autant que possible.
    Bref on parle « éducation » des enfants, mais le mot amour fait peur. (et aussi le mot dignité).
    Amitié.
    Stéphane.

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