Seuls existent les commencements,
les aurores nouvelles,
qui nous tirent de nos nuits.
Être toujours voyageur de l'Aube.

mardi 14 février 2012

10 - La chute

Le 11 novembre 1959 marque un tournant définitif dans ma vie.

Je me couche « valide ». Je ne me relèverai pas. En quelques heures le poliovirus a dévasté mon corps, laissant des séquelles lourdes pour la vie entière. J'ai évoqué toute cette période dans la deuxième partie de mon livre « Le passage se crée ». Je n'y reviendrai pas.


J'ai décidé de relater ce que j'ai vécu au regard de ma vie avec Dieu, si je puis dire ainsi, ou de mes démêlés avec lui, mais aussi avec l'église et le milieu ecclésiastique, à cette époque-là.

Précédemment, j'ai évoqué Les confessions obligatoires à l'école. Les Frères des écoles chrétiennes n'étant pas prêtres, les vicaires et autres curés des paroisses environnantes venaient faire office de confesseurs pour les jeunots que nous étions. J'avais repéré un abbé qui avait l'air plutôt sympathique, et qui, après avoir entendu mon laïus, toujours un peu le même, prononçait quelques paroles dont j'ai oublié la teneur, mais dont je garde une sorte de trace bienfaisante. Sans doute savait-il trouver quelques mots justes, qui convenaient au garçonnet que j'étais.

L'attaque de polio m'amena à l'hôpital. Il est alors d'usage de faire appel aux prêtres. J'évoquais l'abbé L. , ce bon confesseur. Il me rendit visite. Plus tard, mon cas s'aggrava. On parla de méningite. Je sombrai dans l'inconscience, un certain coma. Comme on dit aujourd'hui, le pronostic vital semblait engagé.
Ce que je vais relater à présent, évidemment je n'en ai aucun souvenir personnel. Je réfère à ce qui me fut raconté plus tard par mes parents, et confirmé par quelques proches. Je n'ai strictement aucune raison d'en douter.
On fit revenir l'abbé L. pour ce que l'église appelait alors l'extrême-onction (onction d'huile sur la tête du malade aux portes de la mort. Autrement dit ça sentait le sapin…). L'abbé exécuta les gestes officiels, et les prières afférentes, en présence de mes parents autour du lit.

La légende familiale, surtout entretenue par ma mère, déclara qu'alors le miracle s'accomplit. Au cours de cette sorte de cérémonie, j'ouvris les yeux et revint à l'existence. (Bien plus tard, et avec une sorte de dérision, j'imaginais ce genre de scène dans un film de série B…)
De cet événement, je dois dire que je garde un très très ténu souvenir/sensation, dans le brouillard de ma conscience, la vague perception d'une soutane de curé… Rien d'autre. Et encore, suis pas sûr. Probablement une construction mentale a posteriori. 

Ma mère voyait ainsi Dieu à l'oeuvre. Celui qui n'abandonnait pas sa créature. Non seulement il procurait un soutien, mais de plus il agissait concrètement, ne séparant pas par la mort une mère de son fils.
Je crois avoir toujours respecté cette manière de voir les choses, quand bien même, à certaines heures, elle m'agaça. D'autant que ma propre analyse des événements était différente, ainsi qu'on le verra ci-après…

Mes parents avaient une foi viscérale. Mon père ne la montrait guère à l'époque. Un homme de sa génération n'est pas disert ni démonstratif sur ces choses-là. Il en fut quelque peu différent lorsqu'il devint veuf, ainsi que sur la fin de sa vie. Ma mère en revanche évoquait fréquemment le monde divin, le mêlant parfois de magie et de religiosité ou de quelques exagérations, mais, lorsqu'elle parlait de la Providence, elle laissait voir une immense confiance en Dieu, qui ne nous laissait jamais tomber et finirait toujours par « nous exaucer », selon l'expression qu'elle employait fréquemment. À la fois réticent et distant, je ne pouvais m'empêcher d'admirer l'ampleur et la profondeur d'une telle foi, qu'au final je me montrais incapable de partager à ce point-là.
Ce fut constamment un point d'appui pour elle, non pas comme une béquille extérieure, mais comme un pivot central au fond d'elle-même, qui l'aida, je crois, à traverser des épreuves que la vie ne lui épargna pas. À commencer par celle de se retrouver avec un fils entièrement paralysé à l'aube de ses 12 ans.

— « La Providence va nous exaucer », disait-elle. 

Je comprenais : Dieu a le pouvoir d'accorder ce qui est demandé.
Je n'envisageais pas l'homonyme : « exhausser » : placer dans une position plus élevée. 
Certes, ma mère exprimait ainsi sa foi selon laquelle Dieu allait finir par donner, par accorder, à force de prières. 
Mais, toute la tradition biblique parle d'un Dieu sur les hauteurs.  Dans la montagne. (exhausser) C'est là que se situe le lieu de la rencontre avec lui. Faut-il donc emprunter un long chemin sinueux et ardu pour peut-être le rencontrer ?

Mais, Dieu ou pas Dieu, combien de gens ont témoigné qu'une lourde épreuve dans leur vie les avaient amenés plus loin, ailleurs, plus haut. N'entend-on pas parfois : « suite à mon accident (ma maladie, la mort d'un proche, etc.) j'ai pris de la hauteur. » D'autres préféreront dire les choses sur un registre de la profondeur, question de perspective… Mais c'est bien de la même chose dont on parle… Et là aussi, on évoquera un cheminement intime et intérieur, tout aussi sinueux vers une rencontre d'un Dieu à l'intime de soi, dans la profondeur de sa personne.
Comme je disais… Question de perspective…


Ma légende personnelle, est différente. J'en reviens à cet événement à l'hôpital. Je n'ai pas considéré une intervention divine venant je ne sais d'où et en tout cas d'Ailleurs.
J'ai établi ma légende, c'est-à-dire mon interprétation personnelle, issue de bien des années de réflexion, sur une perception plus psychologique. 
Le tableau se présente ainsi : 
L'immense détresse intérieure dans laquelle je me trouvais à 11 ans, ayant le sentiment terrible que tout était foutu pour moi, puisque je ne valais rien et que je ratais tout. 
— L'affection de mes parents (dont je ne doute pas intrinsèquement), était anesthésiée par leurs conditions de vie (en particulier leur surinvestissement professionnel, à mon détriment),
—  il ne me restait plus guère de solution, en particulier pour ne plus aller à l'école, que le choix d'une grave maladie, ou la disparition définitive. 

Je n'avais pas d'intentions ou d'idées suicidaires. Il fallait cependant que quelque chose advienne. Que quelque chose se passe qui me sauverait. J'ose l'écrire ainsi, au risque de choquer :  mon sauveur fût le virus de la polio

Ce choix imposé par l'existence était à courte vue. Et puis, les symptômes de l'attaque virale ne ressemblent-t-ils pas comme deux gouttes d'eau à une angine ? Comment savoir à onze ans finissants qu'il y aura des séquelles paralysantes irréversibles à tout jamais. (Je relate cet épisode dans « le passage se crée », je n'en dirai pas plus ici).

6 commentaires:

  1. Dans ce que tu appelles "ta légende personnelle",tu fais état de douloureux moments d'enfance que tu as vécus
    (les difficultés énormes à l'école,le doute terrible sur ta valeur(oui un enfant peut souffrir très fort!!)la relation avec tes parents: difficultés telles qu'il "fallait que quelque chose advienne, et c'est arrivé!!
    Pour t'avoir accompagné quelque peu dans la finalisation de ton livre, je connaissais ces ressentis,je les sais très intenses!
    Je voulais simplement le rappeler: j'ai l'impression sinon que ta réaction pourrait sembler disproportionnée par rapport à la réalité...
    Ceux qui ont lu ton livre "Le passage se crée" ainsi que ceux qui te suivent sur ton blog "J'en rêve encore" en savent un peu plus à ce sujet!

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  2. Merci pour ce commentaire qui peut éclairer certains.
    mon objectif n'est pas de raconter ma vie dans tous ses épisodes. Ça pourrait faire des centaines de pages…
    :-))
    Mon objectif est assez personnel.
    Faire le point avec moi-même, Sur ce que j'ai appelé la question de Dieu, mais le faire sous le regard d'autrui, par souci de rigueur personnelle.

    Pour que ce regard des autres ne soient pas « passif », j'ai rendu possible les commentaires, après les hésitations que j'ai eues, exposées dans mon premier billet.
    Pour l'instant, je ne regrette nullement l'ouverture aux commentaires. Cela enrichit ma réflexion.

    Pour ce qui est de mon parcours de vie en général, de mes valeurs et de mes convictions les plus profondes, j'en ai largement parlé depuis bientôt 10 ans sur d'autres blogs…
    et tu es parmi les fidèles lecteurs/lectrices…
    ( Il n'y en a plus guère d'ailleurs… Normal… La blogosphère est protéiforme et en constante évolution...)

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  3. Mon lecteur RSS a fait le paresseux, je n'ai pas vu tes derniers billets.

    Je n'aurais jamais pensé à mettre un h à exhausser et que pour ma part j'écris "exaucer".

    est ce que la maladie ne pouvait elle pas te permettre d'ex- ister autrement?

    Je vais lire la suite

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  4. exhausser et exaucer.... Sont en effet 2 mots au sens différents… C'est leur homonymie qui m'a frappé…

    La maladie, ou plutôt les séquelles de la maladie, ont eu pour conséquence une vie TOTALEMENT autrement.

    Lorsque j'écris : mon sauveur fût le virus de la polio… Ce n'est pas une figure de style, ou un effet de plume, Comme on dit un effet de manche. C'est le résultat d'un long travail sur moi-même.

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  5. Mais, Dieu ou pas Dieu, combien de gens ont témoigné qu'une lourde épreuve dans leur vie les avaient amenés plus loin, ailleurs, plus haut. N'entend-on pas parfois : « suite à mon accident (ma maladie, la mort d'un proche, etc.) j'ai pris de la hauteur. » D'autres préféreront dire les choses sur un registre de la profondeur, question de perspective… Mais c'est bien de la même chose dont on parle… Et là aussi, on évoquera un cheminement intime et intérieur, tout aussi sinueux vers une rencontre d'un Dieu à l'intime de soi, dans la profondeur de sa personne.
    Comme je disais… Question de perspective…

    Je te rejoins entièrement sur ces lignes.

    Je comprends tout à fait ce que peut signifier que le viruspolio fût ton sauveur.
    On ne le dit certainement pas sur le moment mais après des mois...semaines voire des années de cheminement.


    S'exhausser... je n'avais jamais vu ni entendu ce terme mais il me plaît bien ... c'est bien plus court que prendre de la hauteur :-)

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    1. Dans une épreuve de vie difficile à traverser, on se retrouve à se poser des questions fondamentales sur le sens de sa propre existence. Quelques soient ses croyances par ailleurs. Tu as tout à fait raison.
      Il se fait que souvent ce chemin intérieur conduit à une "rencontre".
      Je parle ici de ma modeste expérience pour avoir côtoyé un certain nombre de personnes en souffrance.
      Cela conduit parfois a des effets particulièrement positif, et donc inattendus au départ.

      Reste que l'on se passerait bien de ce genre d'épreuves… j'ai écrit ailleurs un texte dont le titre était:
      Bienheureuse polio ?
      ou
      Salaud de virus ?

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