Seuls existent les commencements,
les aurores nouvelles,
qui nous tirent de nos nuits.
Être toujours voyageur de l'Aube.

lundi 13 février 2012

9 − 1958 : centenaire des apparitions de la Vierge à Bernadette Soubirous

La France est la « fille aînée de l’Eglise » et dans les années 50 chaque français est chrétien catholique, va à la messe du dimanche et les plus fervents en Pèlerinage à Lourdes. Un musulman va à La Mecque, un bon catho va à Lourdes ! Certes il y a bien quelques « libres penseurs » et les enseignants se disent athées, mais la France est catholique ! … et mariale !
Cette année là Marcelle Auclair publie une vie de Bernadette (*). Livre à couverture blanche que je lis et relis dans cette chambre  vide du 2° étage de la maison. Je suis comme subjugué par cette petite fille qui voit et entend la Vierge. Le récit des apparitions me fait rêver, les bagarres avec les adultes et les curés qui doutent me révoltent, mais finalement elle triomphe cette petite audacieuse qui a une foi et y croit dur comme fer. 

(*) Je reviendrai plus tard sur cette femme et ce qu'elle est pour moi.


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Cette année là, en vacances en août aux Eaux-Bonnes dans les Pyrénées, nous allons en famille à Lourdes. Trois jours de pèlerinage pour ce fameux centenaire. Je découvre l’endroit où s’est déroulé ce que j’ai lu. Et puis il y a la foule, la foule, la foule… Et les « malades » qui se déplacent en file indienne dans des charrettes qui me font penser au « pousse-pousse » que j’ai vu dans Tintin « Le lotus bleu ». Je ne sais pas que bientôt ce sera moi dans l’un de ces chariots.

Il est décidé que chacun ira où il voudra. Il suffit d’être à l’heure fixée à « La Vierge Couronnée » sorte de point de ralliement habituel des pèlerins. Je vis cette proposition comme un intense moment de liberté personnelle, voici que je ne suis pas obligé de suivre, ni les parents, ni mon frère et sa fiancée, et que je peux me rendre où bon me semble…  Je me souviens être allé un peu partout en curieux, pas en touriste, mais comme subjugué par l’immensité des lieux, les cierges qui brûlent par milliers, les mélanges de nationalité, de langues, les italiennes pieuses toutes en noir, l'exubérance des espagnols,  en même temps qu’une atmosphère de silence et de recueillement. Il m’en restera un intense sentiment de liberté personnelle, qui va me marquer à vie dans ma relation à une certaine forme religieuse, la seule qui sera acceptable à mes yeux. Phénomène curieux que je ne m’explique pas encore aujourd’hui, sur lequel je reviendrai par ailleurs. On dit que Lourdes est une terre de miracle et de conversion. Cette expérience de liberté dans un lieu éminemment religieux, si traditionnel pour ne pas dire traditionaliste, fera que jamais je ne me sentirai mal à Lourdes comme j’ai pu l’être en d’autres lieux pourtant aussi « chargés ». 

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Ce sentiment de liberté et peut-être encore plus de responsabilité de moi-même, je l'expérimente le troisième jour de ce petit pèlerinage familial. Ma famille, cultivant souvent les décisions de dernière minute, ne trouva aucun hôtel à Lourdes, tous étant complets avec des réservations depuis des mois. Il faut donc chaque soir revenir en voiture aux Eaux-Bonnes, dans notre résidence de vacances.
Je suis malade dans la nuit s'ouvrant sur la troisième jour. Victime d'une sorte d'insolation, je ne retournerai pas à Lourdes. Mes parents décident que je peux
rester seul dans l'appartement. Pour eux, ces temps à Lourdes semblent d'une importance première. Ils le sont certainement à plus d'un titre. Dans la tradition familiale de ma mère « la dévotion mariale » tient une place majeure. Presque centrale. Signe de Dieu sans doute pour elle, c'est à Lourdes, en aout 1933, qu'un coup de foudre réciproque unira mon père et ma mère jusqu'à leur mort… Il n'est donc pas question de rater cette troisième journée sur ces lieux saints.

Cette décision étonnante de la famille de me laisser seul, n'aura sur moi que des conséquences bénéfiques. Je me sens considéré comme un grand qui va se débrouiller seul toute la journée. (Il y a bien longtemps que mon enfance solitaire m'a appris la débrouillardise). 

On m'a laissé un peu d'argent et, à la bibliothèque pour enfants, je vais louer des Lucky Luke. Je les lis seul sur les bancs de la place ensoleillée. Je me sens véritablement « un grand ». Conscient de cette sorte de promotion, je ne fais aucune bêtise, j'agis sagement. Je ne crains pas la solitude, et pour une fois je l'aime.

Je lis et relis "Lucky Luke contre Pat Poker" ; "l'élixir du docteur Doxey" ; "Lucky Luke contre Phil Defer". "Lucky Luke contre Joss Jamon". Je m'identifie parfaitement à ce cow-boy solitaire. Il est à la fois un Maître et un égal. 

Le souvenir de cette journée est toujours resté comme une pierre blanche dans ma mémoire. Comme un événement signifiant. Comme le signe, les prémices, de mes aptitudes à mener une vie d'homme, par moi-même. J'ai été très heureux toute cette journée-là. Je ne garde aucun souvenir d'une peur quelconque. Je me sentais en sécurité intérieure. Je n'avais que 10 ans. Aux yeux de bien des gens, et probablement bien plus aujourd'hui qu'en 1958, mes parents seraient considérés comme d'horribles inconscients, tout juste s'il n'aurait pas fallu saisir un juge pour des mesures de protection à mon égard.
Pour moi, sans le savoir sans doute, ils m'ont rendu un immense service, celui de me faire confiance, de me considérer comme « capable ».

De cet événement, et de ce que je vivrai encore par la suite au regard de ce que j'appellerai « ma relation à Lourdes », force est de reconnaître que tout cet ensemble, cet environnement de religiosité, eut sur moi d'intenses effets en terme d'expérience de cette liberté intérieure joyeuse et plénifiante, qui me faisait vivre des instants de bonheur, qu'un certain divin semblait pouvoir apporter, au coeur même de pratiques religieuses que j'aurais dû détester.

Ceci constitue l'un de mes paradoxes avec lequel je cohabite toujours aujourd'hui.

J'y reviendrai lorsque j'évoquerai les pèlerinages à Lourdes, lorsque je passerai de l'autre côté de la barrière, du côté des « chers malâââdes ».

7 commentaires:

  1. C'est en 1961, l'année de mes dix ans, obligation médicale de séjourner à la montagne, ce sera Luchon et donc excursion à Lourdes (mère malade en voiture comme il se doit). Mes parents m'encadrent, surement par risque de contagion religieuse et puis, faudrait pas que la ("Chère") petite soit traumatisée par la vue des malades ... On a quand même rapporté une fiole d'eau à mémé (celle qu'était tellement bête, celle qui était si pieuse, celle qui était terrorisée parce que son fils allait tout droit en Enfer et qui essayait de compenser par force jeûnes et neuvaines).

    Jusqu'à aujourd'hui, la dévotion mariale m'est quasiment étrangère, sauf, une certaine statue, sulpicienne à souhait, fortement liée à ma grand-mère.

    Chaque billet me fait mesurer davantage l'écart entre nos deux éducations et nos expériences.

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  2. Chaque vie est unique, chaque expérience distincte. C'est ce qui fait la diversité et la richesse des hommes et des femmes, par complémentarité ou par opposition.
    Intéressant ce que tu dis de ta propre expérience. J'aime bien les perceptions divergences, voire opposées. C'est plutôt aidant. Difficile aussi parfois parce que la compréhension du « différent » est plus complexe qu'avec un « ressemblant ». Mais elle permet aussi d'approfondir plus loin, de s'ouvrir autrement.

    Juste une précision ( qui n'est peut-être pas nécessaire, mais comme on dit : ça va mieux en le disant) : je n'ai strictement aucune dévotion mariale.
    Mon rapport avec Lourdes est « autre »…
    J'y reviendrai plus tard.

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  3. J'ai eu un tel rapport difficile avec "la mère" que je n'ai jamais voulu être proche de Marie....
    Elle m'indiffère, elle m'énerve je ne l'ai jamais priée
    Mais j'ai bien compris que tu n'as pas de dévotion mariale, mais un contact privilégié avec Bernadette. Suis curieuse de le découvrir

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  4. Monsieur le Voyageur, j'avais compris, simplement ... j'aurais pu écrire la première phrase de Coumarine. La seconde phrase est pour moi en train de se teinter d'imparfait : le dernier vendredi saint, j'ai perçu Marie en piétà, et là, pour la première fois peut-être, j'ai pu rejoindre ma mère, celle qui pleure son enfant mort. Je parlerais de relation blessée, d'incompréhension et de dureté.

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  5. Sur ce registre de l'art, par rapport à Marie, en tant que mère, c'est le retable d'Issenheim (Musée de Colmar - Je suis allé voir cette oeuvre plusieurs fois), qui m'a profondément marqué.
    D'un côté la vierge à l'enfant, flamboyant dans un habit de reine, et sur le volet opposé, Grünewald représentant Marie, cadavérique, les yeux clos, la bouche semi-ouverte, telle une morte, curieusement habillée de blanc comme une moniale à l'agonie…

    Terrible parcours d'une mère. Peu enviable.
    Sauf à croire à son destin tel que l'église le présente…

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  6. Comme tes parents, mon mari et moi, nous sommes rencontrés aimés et même "connus" à Lourdes lors d'un pélérinage de jeunes. C'était les seules vacances mixtes que mes parents m'autorisait à 17 ans.C'est fou ce que je m'y suis éclatée tout en effectuant le travail pour lequel j'avais été désignée( à savoir la conduite des malades à la grotte ou à la piscine, l'aide à la piscine cad aider les malades à se plonger dans l'eau miraculeuse.
    Donc pour moi Lourdes est surtout mon lieu de la découverte de l'amour et de la liberté.
    Je n'y suis plus allée depuis plus de 40 ans.

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  7. ... "rt même "connus" à Lourdes lors d'un pélérinage de jeunes.
    C'est du joli ! Femme sacrilège !
    Si Mgr l'évêque apprenait ça tu serais illico excommuniée…

    Ah ! Les piscines à Lourdes !
    Tu fais bien d'en parler... J'allais oublier de dire un truc là-dessus quand je reviendrai sur Lourdes dans un autre texte.

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