"Ils lui dirent donc: Ou est ton père? Jesus répondit: Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père; si vous m'aviez connu, vous auriez connu aussi mon Père." (Jean 8:19).
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« Ils » : ce sont les pharisiens. C'est-à-dire des gens très bien. Rien à leur reprocher. Ils suivent la Loi de Moïse à la perfection. Des modèles en quelque sorte. Il semble même qu'en ce domaine, ils sont à la pointe du progrès de l'époque…
On peut, je crois, légitimement penser qu'ils sont dans des schémas de pensée qui n'ont rien à voir avec ce que Jésus apporte de novateur. Dont acte. On ne voit pas en effet comment il pourrait entrer, de l'intérieur, dans une nouvelle « connaissance », vu qu'au final, ils savent tout.
Les disciples de Jésus le connaissait-il mieux ? Pour une part sans doute. Mais enfin, plus d'une fois il leur remonte les bretelles en disant que décidément ils ne comprennent rien à pas grand-chose…
Ma propre fréquentation de Jésus ne date pas d'hier. Et pourtant je prends la question pour moi : — « Tu ne me connais ni moi, ni mon père… ».
Mon premier réflexe est de répondre : — Ben si, quand même ! Depuis le temps ! J'ai lu et relu ce que tu as dit. J'ai médité sur tes propos, tes actes, j'ai réfléchi, j'ai écrit, je me suis laissé ressentir ce qu'il en était de « tout ça », j'ai ouvert mon coeur mon intelligence. Et j'ose même ajouter : je crois que je t'aime ! Ce n'est pas rien quand même !
Jésus : —………
Moi : — ben OK, je suis loin du compte…
Qu'est-ce que connaître ?
. Il y a bien sûr l'acquisition de connaissances. Dans ce domaine je pense qu'il y a des milliers de kilomètres de rayonnages de bibliothèque au sujet de Jésus, depuis 2000 ans. Lui, son époque, le sens de son « message », des interprétations multiples et variées, les dogmes gravés dans le marbre, les « credo », etc. des bouquins j'en ai lu un nombre certain, des conférences, des sermons, et tout ça, tout ça.
Là, on peut faire un tri et un jour déclarer définitivement
— Jésus, c'est : ça, ça, et ça. Point/barre.
(Cela s'appelle une profession de foi chez les catholiques ou encore un credo)
. Il y a aussi connaître en éprouvant et ressentant. C'est encore autre chose. On prend connaissance par résonances, par vibrations, par perceptions intérieures, par lumières surgissantes, par expériences dites spirituelle et/ou mystiques, etc. Un terrain on ne peut pas mettre en équation, comme on ne met pas l'amour en équation. Un mode de connaissance mouvant, sujet à caution, à explications psychologisantes, à contestation scientifique ou pseudo scientifique. Bref, un mode de connaissance bien différent, qu'il faut à la fois passer au crible de la raison, et en même temps contraindre parfois celle-ci à avoir un tamis à grands trous…
. Il y a encore co-naître : naître en commun. Avoir un point commun avec…
ll y a donc une lumière en nous douée d'une force d'émission pour co-naître au Père. (Paul Claudel, 1953)
Cette phrase est quand même « forte ». Elle me parle. Elle rejoint quelque chose que j'ai écrit ailleurs et sur lequel je reviendrai sans doute ici.
— Où est-ce que je me situe ?
Peut-être ne faut-il un préalable :
qu'est-ce que je peux bien connaître des gens qui me sont le plus proche et le plus intime ?
En premier, il y a ma compagne de vie depuis plus de 40 ans. Bien sûr j'ai appris à connaître sur les trois registres cités plus haut. Ce que d'autres ont dit d'elle au long de ces années et qui ont amené des éclairages différents. Je pense ici à ce qui s'est vécu avec son groupe professionnel quand elle a quitté d'importantes responsabilités. J'ai entendu des propos sincères, peu conventionnels, et tellement forts dans la justesse mais aussi dans des aspects que je ne découvrais pas fondamentalement, mais qui était mis en lumière comme moi-même je ne l'aurais pas fait.
Il y a tout ce que nous avons éprouvé, ressenti ensemble et séparément, l'un envers l'autre, tant sur le registre du bonheur et de la plénitude, que sur celui des difficultés des épreuves, des éloignements, et de tout ce qui fait une vie partagée.
Il y a ce « naître en commun » si spécifique à l'identité du couple, mais dont j'ai déjà parler ici et ailleurs et je ne m'étendrai donc pas.
Tout cela est formateur de sa propre identité, des influences des autres, des émergences personnelles, des engagements communs, des décisions qui bousculent. Enfin bref, la vie ordinaire…
Mais , au fond du fond..... qu'est ce que je "connais" d'elle ? Vraiment ? de son mystère ? De cet au-delà du sensible, de la raison, de l'intime partagé ?
Mais , au fond du fond..... qu'est ce que je "connais" d'elle ? Vraiment ? de son mystère ? De cet au-delà du sensible, de la raison, de l'intime partagé ?
Alors, par rapport à Jésus, à l'homme, à son mystère de divinité, et bien d'autres choses encore, où est-ce que je me situe ?…
Qu'est-ce que j'en « connais » ? Qu'est-ce qui valide cette interpellation :
— « Tu ne me connais ni moi, ni mon père… »
(À suivre…)
Et un peu plus loin ( Jean 14 8) Jésus à Philippe qui lui dit:" Seigneur, montre nous le Père et cela nous suffit" Jésus dit: " Je suis avec vous depuis si longtemps et cependant, Philippe, tu ne m'as pas reconnu! Celui qui m'a vu a vu le père. Pourquoi dis tu:"montre nous le Père"?Ne crois tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi "
RépondreSupprimerJ'aime les questions de Philippe et Thomas parce que ce sont les questions que je me pose moi aussi...
Ce qui m'interpelle aussi c'est la réponse de Jésus qui dirait autre dit:" Quoi quand je pense que cela fait des années que je suis avec toi et tu n'as encore rien compris, tu ne me (re)connais toujours pas....
voir au-delà de ce que l'on voit…
SupprimerC'est probablement de cela qu'il s'agit…
il y a une "formule" su je ne comprends pas très bien: "naître en commun"
RépondreSupprimerEst-ce naître ensemble dans une relation plus "relationnelle"?
Est-ce partager le plus intime pour grandir l'un avec l'autre?
est-ce accepter de se faire "co-naître", mutuellement?
Tes dernières phrases semblent dire qu'on ne connaît pas ou peu l'autre...
Naître en commun c'est la définition de co-naître.
SupprimerCela peut être ce que tu dis.
C'est aussi sur le terrain de l'action collective dans le cadre, par exemple, d'un groupe d'appartenance. ( auquel on appartient par co-naturalité pour un engagement spécifique. (Ce sur quoi on est « naturellement » d'accord - au moins sur le fond - sur les modalités de l'engagement c'est parfois plus compliqué…)
Pour ce qui est de Jésus, il me semble que les apôtres étaient liés à lui par un accord sur le fond qu'ils avaient pressenti et perçu. il n'était pas lié par des sentiments uniquement. Mais, par un amour plus grand que Jésus lui-même. C'est probablement ce qui fait que la connaissance de l'autre, et encore plus de l'Autre, est très limitée… Limitée par la limite intrinsèque de l'être humain.
Je suis ce blog depuis son début avec grand intérêt et dans un profond silence.
RépondreSupprimerAujourd'hui, je vais me laisser aller à proférer une ânerie que je regrette déjà et que vous voudrez bien excuser.
Je pense que nos personnalités se forment au contact (j'allais dire en confrontation, mais il s'agit plutôt d'interaction) avec les autres, qu'elles sont essentiellement constituées de "lien social" et que par voie de conséquence, la co-naissance nous est intrinsèque.
Mais je doute que cette opinion fasse beaucoup avancer le schmilblick.
Les lecteurs silencieux.... J'ignorais il y a peu que vous me lisiez cher Walrus....
SupprimerÇa me touche de le savoir.
Vous ? proférer des âneries ? que nenni...
Ça me questionne depuis bien longtemps ce propos-là : "nos personnalités (...) sont essentiellement constituées de lien social...."
le lien social est indispensable à la construction de la personnalité.
Mais notre potentiel identitaire ne préexiste-il pas ?
Ça ne fait pas forcément avancer le schmilblick non plus... quoique..... Sa progression est toujours d'une grande lenteur....
Merci de laisser vos mots ici....
Et de l'intérêt porté à me petites élucubrations
J'en viens à mon travail dans laquelle je fais référence maintenant.
RépondreSupprimerTon texte me fait penser aux séances d'analyse de la pratique.
Assis tous autour d'une table, nous discutons d'une situation précise. Cette situation, c'est comme un verre opaque qu'on poserait au milieu de la table. Chacun à sa place voit d'un angle différent ce verre, et de là où il est, il raconte ce qu'il pense savoir. Du moins, ce qu'il a vu, analysé et ressenti.
Ça donne une vision globale d'une situation... et pourtant, dans tout cela, il reste toujours un certain mystère qu'on ne perce pas, et qui est bien plus grand que nous, et d'une certaine manière qui nous dépasse. Nous ne pouvons pas du coup avoir la prétention de connaître l'enfant que l'on accompagne, mais seulement d'effleurer ce que nous pensons qu'il est dans ce que nous partageons avec lui.
Je trouve que cette part de mystère est fort intéressante, car elle ne fige jamais la personne dans ce qu'elle est... ou du moins dans ce que nous pensons qu'elle est.
Alors, j'aime bien cette réflexion étymologique que tu amènes là.
Ce co-naître me fait à l'instant penser à cette rencontre que l'on fait d'une personne au fil du temps qui passe. Puisqu'une personne, on ne l'a rencontre pas qu'une seule fois lors de la première rencontre, mais plusieurs fois, dans un éprouvé, un ressenti, par quelque chose de nouveau à chaque fois qui prend corps pour soi, et parfois aussi pour l'autre. C'est une nouvelle naissance à chaque fois, un nouveau voyage que l'on fait à ses côtés. On le découvre, on le perçoit, on réajuste, on confirme un peu plus ou on discrédite nos impressions/jugements de l'idée que l'on se fait de l'autre.
C'est bien une part de Mystère qui est très intéressante je trouve. Cela nous invite à toujours partir à la rencontre de l'autre, "de Jésus ou de son Père". (je mets entre guillemets, car c'est une partie que je ne maîtrise pas du tout ^^) Et nous rappeler qu'on ne sait pas tout :-)
J'aime beaucoup ce que tu lis sur les séances d'analyse de pratique. Je pense que les choses ont beaucoup évolué dans ces domaines, et cependant ne jamais oublier, comme tu le dis, la part de mystère insondable de la personne.
Supprimeril se fait que je fus l'objet ( peux être le sujet ?) de ce type de rencontres, puisque j'ai séjourné trois ans dans un Centre de rééducation au temps de mon enfance.
Il se fait que je dispose des comptes-rendus de l'époque.( début des années 1960)
Alors certes, ce sont des écrits, probablement synthétiques. En les relisant bien des années plus tard je vois à quel point on me « fixait » dans diverses cases…
c'est plus facile et sécurisant les nomenclatures. On sait au moins dans quel tiroir ranger la personne…
mais la vie… la vraie… c'est encore tout autre chose…
alors cela me réjouit de te lire parce que je sais que tu as ce regard sur le mystère des êtres.